L'Inquisition
Sommaire
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Introduction
“Contre l’imagerie traditionnelle colportée par les protestants anglais
et les philosophes français qui fait de l’Inquisition espagnole l’horreur
absolue, on rappelle que ses victimes se comptent au nombre de quelques
milliers en l’espace de trois siècles...” [1]
L’iconographie utilisée dans tous les manuels scolaires d’histoire
amplifie en effet la légende noire de l’Inquisition, lancée par les
encyclopédistes au XVIIIe s.
En 2001, une revue présente le “Livre noir de l’Inquisition”, accompagné
de ce sous-titre: “Chasse aux sorcières et aux cathares. Portrait d’un
fanatique: Torquemada. La torture et l’aveu”. Sur les dix-sept illustrations du
dossier, sept représentent un bûcher ou une scène de torture. Par un étrange
raccourci, l’ensemble se clôt sur une allusion à l’action de l’armée française
pendant la guerre d’Algérie (L’Histoire, novembre 2001).
Parce qu’elle est totalement antinomique, du moins en matière
religieuse, avec l’esprit contemporain, non seulement l’Inquisition est aujourd’hui
inintelligible, mais elle prête de plus en plus le flanc à tous les amalgames
(Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique,
Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 61).
En 1903, lorsque le parti républicain prépare la loi qui aboutira, en
1905, à la séparation de l’Église et de l’État, rappeler les excès de l’Inquisition
médiévale, était pour le camp laïque une arme commode contre le ‘fanatisme
religieux’... Or, cette conduite n’est pas juste car elle ne tient pas compte
de l’état de la société à cette époque et élimine toute contextualisation.
Au sens où l’entend le xxe siècle, l’Inquisition est intolérante. Mais
au Moyen Âge, ce qui n’est pas toléré, c’est l’hérésie ou l’apostasie de la foi
catholique : les fidèles des autres religions ne sont pas justiciables de
l’Inquisition.
Replacer l’Inquisition dans son contexte
L’anachronisme
En histoire, le péché majeur est l’anachronisme. Si l’on juge l’Inquisition
d’après les critères intellectuels et moraux qui ont cours au XXe siècle, et
spécialement d’après la liberté d’opinion, il est évident que ce système est
révoltant. Mais au Moyen Âge, il n’a révolté personne...
Il ne faut pas oublier le point de départ de l’affaire : la
réprobation suscitée par les hérétiques, l’indignation inspirée par leurs
pratiques et leur révolte contre l’Église. Si surprenant que cela soit, les
hommes du XIIIe siècle ont vécu l’Inquisition comme une délivrance. La, foi
médiévale n’est pas une croyance individuelle : la société forme une
communauté organique où tout se pense en termes collectifs. Renier la foi, la
trahir ou l’altérer constituent donc des fautes ou des crimes dont le coupable
doit répondre devant la société. Conforme à l’interdépendance du temporel et du
spirituel qui caractérise l’époque, l’Inquisition représente, explique Régine
Pernoud, “la réaction de défense d’une société à qui la foi paraît aussi
importante que de nos jours la santé physique”.
Aux yeux des fidèles, l’Église exerce légitimement son pouvoir de
juridiction sur les âmes. Pour le comprendre, osons une analogie : au
Moyen Âge, l’adhésion remportée par la répression de l’hérésie peut être
comparée au consensus politique et moral qui, de nos jours, condamne le nazisme
(Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique,
Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 64).
Lucien Febvre, en étudiant Rabelais, a montré que l’athéisme était
impossible aux hommes de la Renaissance (Le problème de l’incroyance au XVIe
siècle, Albin Michel, 1988). C’est plus vrai encore à la période
précédente.
On souhaite bonne chance aux historiens partis à la recherche d’un Moyen
Age “non religieux”: il n’existe pas ! (Jean Sévillia, ibid., p.
34-35)
L’époque médiévale croyait en Dieu.
Ce ne sont pas seulement les archives qui en témoignent, ce sont les
humbles oratoires ou les massives cathédrales, ce sont les milliers de villages
qui portent le nom d’un saint patron. Et ce sont les croisades (Jean Sévillia, ibid.,
p. 34).
Dans un monde où le temporel et le spirituel sont intimement liés, à une
époque où la liberté de conscience est inconcevable, l’hérésie constitue une
rupture du lien social (Jean Sévillia, ibid., p. 54)
Or, l’évêque qui a toujours eu le droit d’excommunier l’hérétique; voire
de l’“exterminer” (le bannir, le chasser ex-terminis, hors des frontières)
(Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age, Points Histoire,
Éditions du Seuil, La Flèche 1979, p. 105) a aussi le devoir de traquer l’hérésie
et de la bannir.
Exterminer: le grand mot.
De nos jours, il est compris dans son sens physique, et l’association d’idées
s’opère avec le bûcher.
Dans le cas des cathares, l’image de Montségur s’impose, répétée par le cinéma,
la télévision, les magazines, les guides touristiques.
Pour combattre les cathares, on les aurait massacrés.
Ce raccourci est doublement trompeur: il passe sous silence le fait que
d’autres moyens que ma force ont d’abord été employés; il rejette par ailleurs
la violence d’un seul côté, alors que les albigeois n’étaient pas de doux
innocents... (Jean Sévillia, ibid., p. 55).
Le Moyen Age était dogmatique
“Dogmatisme ? Oui, le Moyen Age est dogmatique: le mot dogme (du
grec dogma, qui signifie croyance) n’a rien de péjoratif.
La ‘liberté de conscience’ est une notion qui n’est pas seulement
inconnue: elle est inintelligible.
Puisque la vérité ne se divise pas, la liberté religieuse est au même
degré incompréhensible.
Et toute l’Europe occidentale partage cette certitude.
Si l’on a pas ces éléments en tête, on ne peut pas comprendre la
croisade” [ou l’Inquisition] (Jean Sévillia, ibid., p. 36)
L’Inquisition: “Une réaction de défense de la
société” (Régine Pernoud)
“Sous bien des rapports, l’inquisition fut la réaction de défense d’une
société pour laquelle, à tort ou à raison, la préservation de la foi paraissait
aussi importante que de nos jours celle de la santé. On touche ici du doigt ce
qui fait la différence d’une époque à l’autre, c’est-à-dire des différence de
critères, d’échelle de valeur. Et il est élémentaire en histoire de commencer
par en tenir compte, voire de les respecter, faute de quoi l’historien se
transforme en juge.” (Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Age,
Points Histoire, Éditions du Seuil, La Flèche 1979, p. 104)
“L’Eglise ne persécute pas” (Pierre Chaunu)
Les médiévistes savent bien, aujourd’hui, combien l’Inquisition
médiévale fut loin d’être aussi sanglante que la légende laïque ne l’a
imaginée.
Et à ce sujet, il est intéressant de lire le témoignage d’un historien
réputé, qui bien que protestant, défend l’Eglise, cependant que ses
co-religionnaires continuent encore aujourd’hui à rabâcher les mêmes poncifs.
Voici ce qu’il dit :
“En Occident, la persécution des hérétiques n’a jamais été le fait de l’Église,
qui certes combat et engage la polémique, mais qui ne persécute pas.
L’Église orthodoxe orientale ne préconise pas la mise à mort de l’hérétique
et, en Occident, même l’Inquisition ne condamne pas à mort: elle décide “la relaxe
au bras séculier”, c’est-à-dire qu’elle charge le roi de punir car l’Église ne
verse pas le sang.
La différence entre la main royale et la main ecclésiale est énorme: l’Église
a toujours tendance à pardonner au moindre signe de repentance” (Pierre Chaunu,
Éric Mension-Rigau, Baptême de Clovis, baptême de la France, De la religion
d’État à la laïcité d’État, Éditions Balland, Paris 1996, p. 184).
En vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, aucune
condamnation à mort ne pouvait être prononcée par ces tribunaux qui devaient
transmettre les cas les plus douteux à l’autorité civile.
Et, l’on sait d’autre part, qu’en moyenne, moins de 2% des procédures
menées devant les tribunaux d’Inquisition ont été abandonnées au bras séculier.
Une “justice approuvée par l’opinion” (Jean
Sévillia)
Rappelons la chronologie. Le catharisme, doté d’une organisation vers
1160, atteint son apogée autour de 1200 ; la croisade contre les albigeois
débute en 1209 ; Montségur tombe en 1244. Dès 1213, Innocent III a affirmé
la nécessité de traquer l’hérésie non sur la base de rumeurs ou de préjugés,
mais en procédant à une enquête : en latin, inquisitio. En 1215, le
concile de Latran confie cette tâche aux évêques. En 1229 (en pleine croisade
contre les albigeois), le concile de Toulouse précise le droit d’inquisition :
nul ne doit être condamné pour hérésie par la justice civile sans un jugement
ecclésiastique préalable. Pour l’Église, le but premier reste la conversion des
égarés.
La création de l’Inquisition en 1231 par Grégoire
IX
En 1231, Grégoire IX publie la constitution Excommunicamus, acte
fondateur de l’Inquisition. Le rôle des évêques est maintenu, mais la lutte
contre l’hérésie est officiellement déléguée à ceux qui en ont l’expérience :
les ordres mendiants. Essentiellement les Dominicains (leur fondateur,
Dominique de Guzman, est mort depuis dix ans) et les Franciscains. Ce n’est pas
seulement le Midi qui est concerné : dès 1240, l’Inquisition se répand
dans toute l’Europe, sauf l’Angleterre.
L’iconographie utilisée dans tous les manuels d’histoire amplifie la
légende noire de l’Inquisition, lancée par les encyclopédistes au XVIIIe
siècle. Les tableaux de Jean Paul Laurens peintre qui eut son heure de gloire
aux beaux jours de la Ille République ne montrent que cachots ténébreux et
victimes pantelantes affaissées aux pieds de moines sadiques.
En 2001, une revue présente le « Livre noir de l’Inquisition »,
accompagné de ce sous titre : « Chasse aux sorcières et aux
cathares. Portrait d’un fanatique : Torquemada. La torture et l’aveu. »
Sur les dix sept illustrations du dossier, sept représentent un bûcher ou une
scène de torture. Par un étrange raccourci, (l’ensemble se clôt sur une
allusion à l’action de l’armée française pendant la guerre d’Algérie)...
Parce qu’elle est totalement antinomique, du moins en matière
religieuse, avec l’esprit contemporain, non seulement l’Inquisition est aujourd’hui
inintelligible, mais elle prête de plus le flanc à tous les amalgames. En
réalité, le même mot recouvre des réalités extrêmement diverses, dont la durée
s’étale sur six siècles. Il n’y eut pas une Inquisition mais trois, l’Inquisition
médiévale, l’Inquisition espagnole et l’Inquisition romaine. Du strict point de
vue historique, les confondre n’a pas de sens.
Juridiction indépendante, parallèle à la justice civile, l’Inquisition
médiévale est une institution d’Église. Ses agents ne dépendent que du
pape : les évêques doivent seulement leur faciliter la tâche. La procédure
qu’ils ont à appliquer n’a pas été définie par la constitution Excommunicamus.
C’est empiriquement, et avec de grandes disparités selon les régions, que des
règles se sont fixées. Désignés parmi les prêtres expérimentés, les
inquisiteurs doivent avoir une solide formation théologique et posséder les
dispositions psychologiques adéquates. Il existe de nombreux cas d’inquisiteurs
qui ont été punis ou révoqués parce qu’ils ont failli à leur responsabilité. L’exemple
le plus célèbre est celui de Robert Le Bougre, qui officie dans le nord de la
France : en 1233, ce dominicain prononce des sentences si sévères qu’elles
amènent trois évêques à protester auprès du pape. Suspendu, le fautif retrouve
ses pouvoirs six ans plus tard, mais recommence à appliquer une méthode
particulièrement brutale ; en 1241, il est démis de ses fonctions et
condamné à la prison perpétuelle.
La mission de l’inquisiteur est ponctuelle. Arrivé dans une localité qui
lui a été désignée, il commence par une prédication générale, exposant la
doctrine de l’Église avant d’énumérer les propositions hérétiques. L’inquisiteur
publie ensuite deux édits. Le premier, l’édit de foi, oblige les fidèles, sous
peine d’excommunication, à dénoncer les hérétiques et leurs complices. C’est la
rupture matérielle avec les lois de l’Église qui est coupable : si l’erreur
ne s’exprime pas extérieurement, il n’y a pas matière à procès. Le second, l’édit
de grâce, accorde un délai de quinze à trente jours aux hérétiques pour se
rétracter afin d’être pardonnés. Ce délai expiré, l’hérétique présumé est
justiciable du tribunal inquisitorial.
C’est ici que la réalité historique bouscule les clichés...
L’image de l’Inquisition est si négative que tout un chacun s’imagine qu’elle
constitue le règne de l’arbitraire... C’est exactement l’inverse ! L’Inquisition
est une justice méthodique, formaliste et paperassière,
souvent beaucoup plus tempérée que la justice civile (seigneuriale)...
Détenu en prison préventive ou restant libre, l’accusé a le droit de
produire des témoins à décharge, de récuser ses juges et même, en cas d’appel,
de récuser l’inquisiteur lui même. Au cours de son procès, il bénéficie d’un
défenseur. Le premier interrogatoire a lieu en présence de prud’hommes, jury
local constitué de clercs et de laïcs dont l’avis est entendu avant la
sentence. Afin d’éviter des représailles, le nom des dénonciateurs est tenu secret,
mais l’inquisiteur doit les communiquer aux assesseurs du procès qui ont à
contrôler la véracité des accusations. Les accusés ont le droit de fournir
préalablement le nom de ceux qui auraient un motif de leur nuire, ce qui est
une manière de récuser leur déposition. En cas de faux témoignage, la sanction
prévue équivaut à la peine encourue par l’accusé. Certains inquisiteurs
préfèrent révéler l’identité des accusateurs, et procéder à une confrontation
contradictoire.
Si l’accusé maintient ses dénégations, il subit un interrogatoire
complet dont le but est de recueillir ses aveux.
En 1235, le concile régional de Narbonne demande que la condamnation
soit portée exclusivement après un aveu formel, ou au vu de preuves
irréfutables.
Mieux vaut, estime l’assemblée, relâcher un coupable que condamner un
innocent.
Pour obtenir cet aveu, la contrainte peut être utilisée : soit par
la prolongation de l’emprisonnement (carcer duras), soit par la privation de
nourriture, soit enfin par la torture. Longtemps l’Église y a été hostile. En
886, le pape Nicolas Ier déclarait que ce moyen « n’était admis ni par les
lois humaines ni par les lois divines, car l’aveu doit être spontané », Au
xW siècle, le décret de Gratien, une compilation de droit canonique, reprend
cette condamnation. Mais au xme siècle, le développement du droit romain
provoque le rétablissement de la torture dans la justice civile. En 1252,
Innocent IV autorise de même son usage par les tribunaux ecclésiastiques, à des
conditions précises : la victime ne doit risquer ni la mutilation ni la
mort ; l’évêque du lieu doit avoir donné son accord ; et les aveux
exprimés doivent être renouvelés librement pour être valables.
À l’issue de la procédure, et après consultation du jury, la sentence
est prononcée au cours d’une assemblée publique appelée sermo generalis. Cette
cérémonie solennelle réunit l’évêque, le clergé, les autorités civiles, les
parents et amis du condamné. Après célébration de la messe, un sermon est
prononcé. Les acquittés sont libérés, puis on annonce les peines infligées aux
coupables.
Au demeurant, du point de vue de la méthode judiciaire, l’Inquisition a
représenté un progrès (Jean Sévillia, ibid., p. 64). Là où l’hérésie
déclenchait des réactions incontrôlées, émeutes populaires ou justice
expéditive, l’institution ecclésiastique a introduit une procédure fondée sur l’enquête,
sur le contrôle de la véracité des faits, sur la recherche de preuves et d’aveux,
en s’appuyant sur des juges qui résistent aux passions de l’opinion.
C’est à l’Inquisition qu’on doit l’institution du jury grâce
auquel la sentence relève de la mise en délibéré et non de l’arbitraire du
juge.
Selon Bartolomé Bennassar (L’inquisition espagnole, Hachette,
2001), les juges inquisitoriaux sont des “hommes d’une qualité intellectuelle
remarquable”, et l’Inquisition fut une justice “plus exacte, plus
scrupuleuse...
Une justice qui pratique un examen attentif des témoignages, qui en
effectue le recoupement minutieux, qui accepte sans lésiner les récusations par
les accusés des témoins suspects, une justice qui torture fort peu et qui
respecte les normes légales (...). Une justice soucieuse d’éduquer, d’expliquer
à l’accusé pourquoi il a erré, qui réprimande et qui conseille, dont les
condamnations définitives ne frappent que les récidivistes (Jean Sévillia, ibid.,
p. 76).
Peine plus grave, la prison (l’emmurement). Le mot est à l’origine d’une
légende jamais les inquisiteurs n’ont fait emmurer vivant qui que ce
soit ; un emmuré, c’est un prisonnier... (Jean Sévillia, ibid., p.
65).
Il existe le mur étroit (la prison proprement dite) et le mur large
(statut comparable à notre mise en résidence surveillée). En cas de deuil
familial, de maladie, pendant les périodes de fêtes religieuses, les
prisonniers obtiennent des permissions qu’ils passent chez eux. “Le pouvoir d’atténuer
les sentences était fréquemment exercé”, souligne jean Guiraud.
Rareté de l’emploi de la torture, une technique
prisée de l’époque
La papauté justifie l’usage de la torture quand la Foi est attaquée
(Inquisition) mais cette pratique est condamnée quand il s’agit uniquement d’obtenir
des aveux sur des crimes de droit commun.
En Espagne, l’Inquisition en use avec parcimonie. Avant 1500, sur trois
cents procès devant le tribunal inquisitorial de Tolède, on relève cinq ou six
cas de torture; de 1480 à 1530, sur deux mille procédures à Valence, douze cas
de recours à la question sont attestés (Jean Sévillia, ibid., p. 77).
Toutes les justices de l’époque y recourent (Jean Sévillia, ibid.,
p. 64).
Face à ce sujet, une fois encore, il ne faut pas réagir avec la
mentalité du XXIe siècle: à l’époque, personne ne conteste le principe de la
torture, que toutes les justices civiles, en Europe, considèrent comme un moyen
d’enquête normal (Jean Sévillia, ibid., p. 77).
p. 64-65 Suite: ... Mais le manuel d’inquisition de Nicolas Eymerich la
réserve aux cas extrêmes et met en doute son utilité : « La question
est trompeuse et inefficace. »
Henri Charles Lea, un historien américain du XIXe siècle, très hostile à
l’Inquisition, livre cette observation : « Il est digne de remarquer
que dans les fragments de procédure inquisitoriale qui nous sont parvenus, les
allusions à la torture sont rares ».
“Si l’accusé maintient ses dénégations, il subit un interrogatoire
complet dont le but est de recueillir ses aveux. En 1235, le concile régional
de Narbonne demande que la condamnation soit portée exclusivement après un aveu
formel, ou au vu de preuves irréfitables. Mieux vaut estime l’assemblée,
relâcher un coupable que de condamner un innocent. pour obtenir cet aveu, la
contrainte peut être utilisée: soit par la prolongation de l’emprisonnement,
soit par la privation de nourriture, soit enfin par la toture. Longtemps, l’Eglise
y a été hostile. En 886, le pape Nicolas Ier déclarait que ce moyen “n’était
admis ni par les lpis humaines ni par les lois divines, car l’aveu doit être
spontané”. Au XIIe s., le décret de Gratien, une compilation de droit canonique
reprend cette condamnation. mais au XIIIe s., le développement du droit romain
provoque le rétablissement de la torture dans la justice civile. En 1252,
Innocent IV autorise de même son usage par les tribunaux ecclésiastiques, à des
conditions précises: la victime ne doit risquer ni la mutilation ni la mort; l’évêque
du lieu doit avoir donné son accord; et les aveux exprimés doivent être
renouvelés librement pour être valables (Jean Sévillia, ibid., p. 63).
La torture employée par les Protestants
Jacques Heers s’interroge: “Qui évoque aujourd’hui en de gros livres à l’usage
des écoliers les sorcières de Salem livrées à un tribunal de puritains
hystériques puis aux flammes, ou les bûchers de Genève au temps de Valvin; ceci
en pleine Renaissance ?” (Jacques Heers, Le Moyen Age, une imposture,
Perrin Malesherbes 2001, p. 241).
Si donc la torture a été utilisée par les catholiques, elle a aussi été
employée par les protestants (Jean Sévillia, ibid., p. 128-132) :
- au 16ème siècle, Calvin condamnait à la torture et à la mort (bûcher) tous
ceux qu’il juge hérétiques (catholiques ou luthériens), au même titre que les
fauteurs de blasphèmes ou d’adultères...
- Henri VIII impose sa réforme au prix de
centaines de victimes pendues ou éventrées - cardinaux, archevêques, évêques,
abbés, moines, prêtres et laïcs.
- La reine Elisabeth Ière d’Angleterre et Gustave
roi de Suède et de Danemark ont employé contre les catholiques les méthodes qu’on
reproche à ... l’Inquisition ...
- L’Inquisition protestante est souvent plus radicale que la catholique.
- Etc ...
“Si les protestants l’avaient emporté, ils ne se seraient pas gênés pour
convertir les catholiques de force...” (François Bluche, Famille chrétienne,
9 avril 1998, cité dans Jean Sévillia, ibid., p. 132).
Rareté des condamnations capitales
Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé
unique, Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 65:
... Le bûcher ? Emmanuel Le Roy Ladurie note que l’Inquisition en
use fort peu . Là encore, le mythe ne résiste pas à l’examen. En premier lieu,
les aveux spontanés ou les condamnations légères exposent à des peines purement
religieuses : réciter des prières, assister à certains offices, jeûner,
effectuer des dons aux églises, se rendre en pèlerinage dans un sanctuaire
voisin ou, dans les cas graves, à Rome, à Saint Jacques de Compostelle ou à
Jérusalem. Il peut être imposé de porter un signe distinctif sur les vêtements
(une croix), humiliation souvent remplacée, dès le me siècle, par une amende.
La recherche moderne ne cesse de réviser le nombre de victimes à la
baisse. À Albi, ville de 8 000 habitants, de 1286 à 1329, sur une population
cathare estimée à 250 croyants, 58 personnes seulement subissent des peines
afflictives. De 1308 à 1323, l’inquisiteur Bernard Gui prononce 930
sentences : 139 sont des acquittements ; près de 286 imposent des
pénitences religieuses (impositions de croix, pèlerinages ou service militaire
en Terre sainte) ; 307 sentences condamnent à la prison ; 156
sentences se partagent entre des peines diverses (emprisonnements théoriques ou
remises théoriques contre des défunts, exhumations, expositions au pilori,
exil, destructions de maisons). Quant aux condamnations à mort, leur nombre s’élève
à 42, soit une moyenne de trois par an sur quinze ans, à une période où l’Inquisition
est particulièrement active. « L’Inquisition languedocienne, précise
Michel Roquebert, brûlera infiniment moins de gens en un siècle que Simon de
Montfort et ses croisés entre juillet 1210 et mai 1211. »
Fernand Braudel estime que le nombre des victimes de l’inquisition a été
“relativement limité”. Depuis le XIXe siiècle, des chiffres ont couru provenant
d’ouvrages qui se sont recopiés les uns les autres sans vérification des
sources. Tous remontent à l’Histoire critique de l’Inquisition d’Espagne
publiée en 1817 par Juan Antonio Llorente, un libéral espagnol entré aus ervice
de Joseph Bonaparte et contraint à l’exil à Paris. D’après lui, en trois
siècles et demi d’existence, l’inquisition aurait pronconcé 341 021
condamnations, dont 39671 remises au bras séculier. “Les chercheurs, souligne
Béatrice leroy, admettent aujourd’hui qu’il est impossible de parvenir à un
calcul exact du nombre de victimes, et tiennent pour fort exagérés les chiffres
de Llorente (Béatrice Leroy, L’Espagne de Torquemada, Maisonneuve,
1995)...
Pierre Chaunu, quant à lui (Pierre Chaunu, Eglise, Culture et Société,
SEDES, 1981), considère que les chiffres de Llorente doivent être divisés au
moins par deux: “Les 10 à 12000 exécutions capitales en trois sicèles doivent
être rapprochées des 50 000 sorcières brûlées en trois ou quatre décennies dans
le reste de l’Europe (qui ne connaissait pas l’Inquisition) au début du XVIIe
siècle” (Jean Sévillia, ibid., p. 79).
Notons que l’historien danois Gustav Hernningson a parfaitement montré,
dans sa thèse parue aux Etats-Unis en 1980, que la “folie criminelle de la
chasse aux sorcières” est un phénomène éminemment moderne. Luther voulait “toutes
les brûler...” (Jacques Heers, Le Moyen Age, une imposture, Perrin
Malesherbes 2001, p. 241).
Voci maintenant ce qu’avance Vittorio Messori: “En l’espace de quelques
mois en 1793, la terreur jacobine qui avait ‘purifié’ la cathédrale Notre-Dame
de Paris de la ‘superstition chrétienne’ fit plus de victimes en France que les
trois Inquisitions catholiques réunies (médiévale, espagnole et romaine) et
peut-être même que celles de toutes les autres confessions chrétiennes”
(Vittorio Messori, La Vérité a un nom et un visage, éditions MaME,
1997). Cela donne une bonne image de l’ampleur du totalitarisme
révolutionnaire.
Enfin, nous avons relevé cette phrase de Pierre Chaunu, très
révélatrice:
“La révolution française a fait plus de morts en un mois au nom de l’athéisme
que l’Inquisition au nom de Dieu pendant tout le Moyen Age et dans toute l’Europe...”
Les condamnations capitales sont rares. Les victimes, dans ce cas, sont
livrées au bras séculier, la justice laïque, qui pratique le bûcher. Ce
supplice entraîne la mort par asphyxie. Mort atroce, mais la mort par pendaison
ou décapitation, qui s’est pratiquée en Europe jusqu’au xxe siècle, ou la mort
par injection qui se pratique aux États Unis sont elles plus douces ?
(Jean Sévillia, ibid., p. 65).
“La vérité sur l’inquisition”,
par le Père Henri Hello
Résumé
Première partie: L’ancienne inquisition ecclésiastique I . Le droit de l’Eglise
II. Le devoir des pasteurs III. La défense de la foi des origines au XIIe
siècle IV. L’Inquisition considérée dans sa procédure secrète V. “L’inquisiteur
de la perversité hérétique.” VI. “L’inquisiteur de la perversité hérétique”,
suite: la procédure au tribunal de l’inquisiteur. VII. Un grand inquisiteur en
fonctions : Saint Jean de Capistran Appendice. – A propos de l’inquisition
– L’Eglise et les Albigeois
Deuxième partie: la nouvelle inquisition d’Espagne I. Pourquoi fut
instituée la nouvelle Inquisition II. Caractère de la nouvelle Inquisition III.
Témoignages des papes en faveur de l’Inquisition d’Espagne IV. Coup d’œil sur
la procédure. – La prison et la torture. – Auto-da-fé. – Le feu. – Excès
reprochés à l’Inquisition espagnole. V. Conclusion
« Les vérités se sont tellement amoindries dans notre siècle,
écrivait en 1867, Mgr de la Bouillerie, évêque de Carcassonne, que c’est
aujourd’hui un système convenu, et comme une mode, de donner en toutes choses
raison à l’hérésie contre l’Eglise. Revues, romans, feuilletons, pièces de
théâtre, l’hérésie est partout l’objet des sympathies les plus ardentes, des
plus intarissables éloges. Tout le succès d’une certaine critique est de
critiquer l’Eglise. Dans ses romans, l’hérésie s’attribue le monopole des
sentiments les plus élevés et des plus pures vertus ; sur la scène c’est
encore l’hérésie qui joue invariablement le plus beau rôle » (Pierre de
Castelnau et les Albigeois, par Mgr de la Bouillerie, évêque de
Carcassonne).
La mauvaise foi des uns, les préjugés des autres font passer l’inquisiteur pour un monstre. Cependant les peuples chrétiens se trouvaient fort bien d’une institution qui protégeait leur foi et garantissait l’ordre public. C’est au XVIe siècle, quand la prétendue Réforme porte ses fruits de rébellion et de désordre, que commencent les récriminations contre un tribunal spécial créé déjà depuis trois siècles ; et ce sont des protestants sectaires qui lancent dans la circulation ces calomnies, propagées par tous les écrivains révolutionnaires. Ce n’est pas tout. Les plaintes retentissantes de tous ces prôneurs du libre examen ne tendent pas seulement à faire haïr le tribunal de l’inquisiteur délégué du Saint-Siège, institué au XIIIe siècle : elles atteignent du même coup le principe même de toute inquisition, c’est-à-dire le droit de rechercher et de punir les hérétiques qui pervertissent le peuple fidèle. Or, ce principe était reconnu officiellement dans l’Eglise, et mis en pratique, dès l’origine, par les Pontifes romains et par les évêques. En fait, le seul mot d’inquisition, plus que tout autre, excite l’horreur. Il évoque immédiatement … ce sanglant tribunal Ce monument affreux du pouvoir monacal.
Le jugement de Voltaire est celui de la multitude. Joseph de Maistre dit que, « si l’on excepte un très petit nombre d’hommes instruits », il n’arrive guère de parler de l’inquisition « sans rencontrer dans chaque tête », des « erreurs capitales plantées et comme rivées dans les esprits ». Il cite les vers de Voltaire et ajoute : « Ces coupables inepties excitent, chez les sages (lisez chez les savants), le rire inextinguible d’Homère, mais la foule s’y laisse prendre, et l’on en vient insensiblement à regarder l’inquisition comme un club de moines stupides et féroces, qui font rôtir des hommes pour se divertir. »
Le terme inquisition peut être considéré : 1° dans son principe,
qui est la recherche des hérétiques pour la défense de la foi, et aussi pour l’amendement
des coupables ; 2° comme système spécial de procédure, qui est l’enquête
faite en secret ; 3° il peut signifier le tribunal ecclésiastique jugeant
les cas d’hérésie, soit celui de l’évêque, juge ordinaire en matière de foi
dans son diocèse, soit celui de l’inquisiteur de la perversité hérétique,
délégué permanent du Saint-Siège pour une région déterminée, à partir du XIIIe
siècle (Muzzarelli définit ainsi l’Inquisition: « un tribunal sacré,
institué pour empêcher la propagation des erreurs en matière de foi, arrêter et
examiner les hérétiques et leurs fauteurs, et les livrer au bras séculier pour
être punis. » Muzzarelli cite et approuve cette parole de Fleury :
« La fin de l’inquisition a été de purger ou de préserver des hérétiques
les pays où elle a été établie »).
L’opinion commune erronée, confuse, en veut au principe, à la procédure
secrète : elle en veut spécialement au tribunal de l’inquisiteur appliquant
le principe et usant de la procédure.
Nous verrons que le principe de l’inquisition est juste. Nous
rappellerons le droit de l’Eglise et le devoir des pasteurs. Nous dirons quelle
fut, dès l’origine, la pratique de l’Eglise. Après une courte explication sur
la procédure secrète, nous parlerons du tribunal de l’inquisiteur de la
perversité hérétique.
I. – Le droit de l’Eglise
Les hérétiques, par le baptême, sont soumis aux lois de l’Eglise. S’ils
les violent, pourront-ils être punis ? S’ils s’obstinent à propager l’hérésie,
à ruiner la foi, à troubler l’ordre au sein de la société chrétienne, l’Eglise
sera-t-elle impuissante à protéger le peuple fidèle ? Sans doute l’Eglise
est une mère pleine de miséricorde, toujours disposée au pardon. « Sa
première occupation, dit le P. Monsabré, est d’obtenir, par la répression, le
repentir et la transformation de ceux qu’elle frappe. Avec un art divin où l’on
reconnaît les inspirations de la miséricorde dont le Christ a rempli son coeur,
elle gradue les châtiments, ne se décidant aux extrêmes rigueurs de son droit
vengeur que lorsqu’elle y est contrainte par l’orgueilleuse obstination des
coupables… c’est par la pénitence que commence son action répressive »
(Carême 1882. La répression dans l’Eglise, p. 179)
D’après saint Thomas, quiconque a le droit de commander, a aussi celui
de punir, et l’autorité qui a le pouvoir de faire des lois a aussi celui de
leur donner la sanction convenable. Or, les peines spirituelles ne suffisent
pas toujours. Certains les méprisent. C’est pourquoi l’Eglise doit posséder et
possède le droit d’infliger aussi des peines temporelles.
C’est, dit le cardinal Billot (De Ecclesia Christi, I, p. 477),
« la doctrine très certaine de l’Eglise, confirmée par la pratique
constante des papes et des conciles oecuméniques, et par les dispositions
manifestes du droit canonique ». L’opinion contraire a été réprouvée par
Pie VI dans la Bulle Auctorem fidei. Dans l’encyclique Quanta cura Pie
IX proscrit et condamne, par son autorité apostolique, la proposition
suivante : l’Eglise n’a pas le droit de contraindre par des peines
temporelles les violateurs de ses lois. Et le Souverain Pontife classe cette
opinion parmi celles que « tous les enfants de l’Eglise catholique sont
obligés de tenir pour réprouvées, proscrites et condamnées ».
Le droit ecclésiastique inflige à ceux qui commettent certains crimes,
soit l’amende, soit la confiscation des biens, soit la prison. Il n’édicte
jamais la mutilation ou la mort.
Quant au droit de glaive, le principe est le suivant. L’autorité
publique a le droit de punir de la peine capitale ceux qui nuisent gravement au
bien général, soit pour retrancher du corps social un membre qui le contamine,
soit pour détourner les autres d’imiter son exemple. Il est donc très juste que
la peine de mort soit appliquée à ceux qui, propageant l’hérésie avec
obstination, perdent le bien le plus précieux du peuple chrétien qui est la
foi, et, par des divisions profondes, y sèment de graves désordres. Cependant
il faut reconnaître que l’exercice de ce pouvoir, l’effusion du sang, s’accorde
mal, dans l’opinion des hommes, avec le caractère de mansuétude et de
miséricorde qui distingue l’Eglise de Jésus-Christ. Pour cette raison, et non
par défaut de juridiction, le juge ecclésiastique s’abstient de prendre le
glaive, mais il abandonne le coupable obstiné à la justice séculière. Celle-ci
le punit selon ses lois et sous sa responsabilité.
Notre société moderne ne conçoit pas, même en principe, la répression
des ravages de l’hérésie par la force. De nos jours, presque toutes les nations
sont officiellement apostates, hérétiques, ou schismatiques. Elles n’admettent
l’emploi de la force matérielle que contre l’Eglise catholique [par exemple
aujourd’hui en France, la contrition des catholiques par voie de droit (loi;
décrets; circulaires...) à travailler le lundi de Pentecôte].
Leur prétendue légalité, faite contre toute vraie justice, est implacable,
et l’opinion publique s’en accommode assez bien, mais cette même opinion juge
avec une sévérité inexorable les temps passés, où la société étant chrétienne,
le pouvoir civil défendait la religion. L’esprit moderne est tellement faussé
qu’il considère comme un progrès la pleine licence de propager les poisons de
toutes les erreurs et de semer l’anarchie.
Ainsi on condamne en bloc toute la législation des empereurs et des rois
chrétiens depuis Théodose. On réprouve ce qu’ont enseigné communément, à ce
sujet, les Pères de l’Eglise et ses docteurs. On ignore ou on dédaigne la
doctrine et la pratique de l’Eglise qui a proclamé légitime l’appel au bras
séculier et condamné l’opinion contraire. Par ses Pontifes, elle a souvent
demandé, dans le cours des siècles, l’aide du pouvoir civil pour faire
respecter les droits de Dieu et de la conscience catholique, pour assurer l’ordre
dans l’exercice du culte public et la paix dans la cité chrétienne.
Le canon 2214 du Code ecclésiastique affirme « le droit inné,
propre, indépendant de toute autorité humaine », que possède l’Eglise,
« de réprimer ses sujets coupables par des peines soit spirituelles, soit
temporelles » (coercendi delinquentes sibi subditos poenis tum
spiritualibus tum etiam temporalibus).
La seconde partie du livre V du Code traite des peines en général, puis
des diverses sortes de peines et de pénitences infligées par le droit
ecclésiastique : plusieurs sont temporelles.
L’hérésie attaque l’Eglise dans le premier principe de son unité, dans
son bien le plus essentiel, car la foi est le fondement de l’ordre surnaturel
ici-bas et le premier lien qui unit le peuple chrétien. Afin d’assurer à son
Eglise l’unité dans la foi d’abord, Jésus-Christ lui a donné des pasteurs. Le
Souverain Pontife est le gardien de la foi dans l’Eglise universelle. Les
évêques en sont les défenseurs dans leurs diocèses respectifs, donc les juges
ordinaires dans les cas d’hérésie.
Dans l’Apocalypse, le Seigneur loue les pasteurs vigilants et fermes
dans la répression des hérétiques (Apoc. II, 2,6), et il adresse des reproches
à ceux qui la négligent (Apoc. II, 14, 15, 20).
Saint Paul compare les hérétiques à des loups qui ravagent le troupeau
de Christ.
Il parle ainsi aux chefs de l’Eglise d’Ephèse : « Prenez donc
garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a
établis évêques, pour paître l’Eglise de Dieu… Je sais que, après mon départ,
il s’introduira parmi vous des loups rapaces qui n’épargneront pas le troupeau.
Et même il s’élèvera du milieu de vous des hommes qui enseigneront des
doctrines perverses pour entraîner des disciples après eux. Veillez
donc… » (Act. XX,28-31)
Saint Paul menace : « Il y a des hommes qui mettent le trouble
parmi vous, et qui veulent changer l’Evangile du Christ. Si quelqu’un vous
annonce un Evangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit
anathème ! » (Gal. I, 7,9). L’Apôtre informe Timothée qu’il en a
excommunié plusieurs. « Quelques-uns ont fait naufrage dans la foi :
de ce nombre sont Hyménée et Alexandre que j’ai livrés à Satan. » (I Tim.
I, 19, 20).
Dès l’origine les pasteurs de l’Eglise ont usé du droit de répression
vis-à-vis des fauteurs de désordre. Ils leur ont infligé des châtiments soit
spirituels, soit temporels. Mais le péril le plus redoutable était celui qui se
cachait au sein même de l’Eglise pour miner et détruire son fondement, la foi.
En effet, les fauteurs d’hérésie ont coutume de se dissimuler. C’est dans l’ombre
qu’ils se rassemblent et se propagent. Leur fausse doctrine est semblable à un
cancer qui exerce invisiblement ses ravages. Peu à peu le mal se révèle par des
divisions funestes, par des troubles d’autant plus profonds que la cause en est
plus grave, plus active et plus invétérée. Parmi ses adeptes, l’hérésie compte
de hauts personnages dans l’ordre ecclésiastique et dans l’ordre civil ;
dès lors, elle a, pour la défendre et pour étendre ses conquêtes, un parti
puissant. C’est l’histoire de toutes les grandes hérésies : Manichéisme,
Arianisme, Nestorianisme, Eutychianisme, etc. Les sectaires du moyen âge,
notamment les Albigeois, et, plus tard, ceux de la prétendue Réforme, ont agi
de la sorte, soutenus par de tels auxiliaires.
Instruits par l’expérience, les chefs de l’Eglise comprirent de bonne heure
la nécessité de s’opposer avec énergie à la peste hérétique. Les vrais pasteurs
redoublèrent de vigilance. D’autres, par leur faiblesse, laissaient la gangrène
s’étendre : des provinces, des nations entières étaient livrées à l’hérésie.
Dès qu’ils se sentaient assez forts, les sectaires devenaient persécuteurs de
la foi. Saint Léon le Grand le déplorait, dans sa lettre aux évêques d’Italie,
au sujet de « l’impiété dévastatrice » des Manichéens ; le Pape
Innocent III, rapportant les crimes des Albigeois, les déclare « pires que
les Sarrasins. » Les fauteurs des sectes protestantes ont imposé leurs
fausses doctrines par le fer et par le feu, ils ont semé la terreur et la mort.
Il ne faut donc pas se scandaliser de voir les pasteurs de l’Eglise
défendre la foi contre les menées perfides des hérétiques dès l’antiquité
chrétienne. Il faut plutôt louer leur zèle. Ils n’ont pu, en bien des
circonstances, l’exercer efficacement qu’en infligeant aux criminels obstinés
des peines mêmes temporelles, et, après l’édit de Milan, en les livrant au bras
séculier.
Au point de vue de l’intervention des princes séculiers pour aider à la
répression des hérétiques, il faut distinguer les trois premiers siècles, jusqu’à
l’édit de Milan, des siècles suivants et du moyen âge.
Durant l’ère des persécutions, l’Eglise ne pouvait user du bras
séculier. « Quel était l’empereur, demande saint Augustin, qui eût alors
embrassé la foi du Christ, pour qu’il pût, par des lois contre l’impie, servir
à la défense de la piété ? ». « Les trois premiers siècles de l’Eglise,
dit Muzzarelli, furent l’époque de la douceur ». En voici la raison :
« La toute-puissance divine voulait se manifester elle-même. » Elle
avait commencé la conquête du monde en se servant seulement de quelques
pêcheurs pauvres et ignorants. Malgré les puissances de l’enfer, l’Eglise s’étendait ;
elle versait le sang de ses martyrs, qui devenait une semence de chrétiens.
Dieu multipliait les miracles et semblait lui refuser tout appui humain pour qu’elle
apparût divine au regard de tous. « Mais, continue Muzzarelli, après que
la toute-puissance fut arrivée à son but, et que la foi fortifiée de son bras,
eut lavé dans le bain sacré le front des empereurs eux-mêmes, elle parut, cette
toute-puissance, se retirer peu à peu et se renfermer une seconde fois dans le
ciel avec les étendards de la victoire. Ce changement était un effet de cette
économie de la Providence d’après laquelle Dieu ne veut user des moyens
extraordinaires que dans les besoins extraordinaires, et emploie plutôt les
causes secondes et les instruments créés pour procurer Sa gloire et le salut
des hommes. »
Quand les souverains furent baptisés, et surtout lorsque les lois, les
institutions, les moeurs étant pénétrées par l’esprit de l’Evangile, le Christ
fut reconnu Maître Souverain des nations, rois social, voici ce qui
arriva :
« La loi chrétienne, dit le Père Monsabré, ayant été spontanément
reconnue par les peuples régénérés comme loi d’Etat, vous voyez tout de suite
les conséquences de cette reconnaissance. La puissance séculière devient le
ministre de Dieu par la conservation du plus grand des biens : le bien de
la religion : Dei minister in bonum5 ; la majesté du Christ,
représentée par l’autorité qu’il a préposée à la garde de sa vérité et de sa
loi, doit être respectée plus que la majesté royale ; l’unité de la foi
est une nécessité d’ordre public, on ne peut la troubler sans attenter au repos
et à l’honneur de la société qui se fait gloire d’être chrétienne. D’où il suit
que l’hérésie, outrage à la vérité du Christ et à l’autorité de son Eglise,
perturbation de l’unité de foi, devient un crime de droit commun soumis aux pénalités
qui sanctionnent les lois d’Etat (Expos. du dogme cath., Carême 1882, pp 207,
208) ».
Le crime de droit commun est des plus graves, c’est, dit Mgr Douais,
celui de lèse-majesté divine. Aux souverains devenus sujets du Christ par le
baptême, l’Eglise désormais demande leur appui pour réprimer l’audace des
hérétiques (« Les donatistes, écrit saint Augustin, sont excessivement
turbulents : il ne me paraît pas inutile de leur donner un frein et de les
faire corriger par les puissances établies de Dieu… » [Ep.93 ad Vincent.)
Eusèbe, dans sa Vie de Constantin (liv. 3), montre les avantages qui
résultèrent de la loi de Constantin contre les hérétiques et les
schismatiques : « De cette manière, dit-il, on découvrit les ténèbres
cachées et les cavernes de ceux qui combattaient la doctrine catholique, et les
auteurs de l’impiété furent mis en fuite. » Le concile d’Aquilée, assemblé
en 381 contre Palladius et Secundanus, évêques ariens, demande le secours des
empereurs pour chasser d’Italie le sacrilège Julien Valens, pour soutenir les
décrets du concile et empêcher les assemblées des hérétiques. (S. Ambr., Ep.
10) Le concile de Milan, avec saint Ambroise, approuve, en 389, la loi de
Théodose contre Jovinien et ses sectateurs, loi qui bannit ceux-ci de toutes
les villes, comme insignes corrupteurs de la foi. (S. Ambr., ép. 42) Le Ve
concile de Carthage se réunit principalement dans le but d’envoyer aux
empereurs une solennelle ambassade, à l’effet d’obtenir que la paix soit rendue
à l’Eglise d’Afrique par l’extirpation de l’hérésie et de l’idolâtrie. »
(Can. 15, Binio ad conc., S. Carthag.). Le concile de Milève, en 419,
considérant les désordres et les ravages des hérétiques, ordonne aux légats du
concile, dans son onzième canon, d’appeler le bras de la puissance séculière.
Le turbulent Dioscore, condamné et déposé par le concile oecuménique de
Chalcédoine, est remis au pouvoir du bras séculier, exilé, conduit en
Paphlagonie par des archers impériaux. Le IIIe concile d’Orléans, en 538,
ordonne aux gouverneurs des villes et autres lieux (Can. 11), de veiller avec
zèle à ce qu’il n’y ait pas d’hérétiques dans leurs districts. Le VIe concile
de Tolède loue la piété du roi Cinthila qui bannit du royaume tout hérétique
obstiné, et conjure les successeurs de ce prince de maintenir inviolablement
cette loi].
Citons des exemples. Les papes saint Anastase Ier (398-402), saint
Innocent Ier (402-417), saint Léon le Grand (440-461), saint Hormisdas
(514-523), saint Grégoire le Grand (590-604), et divers autres s’opposent
énergiquement aux hérétiques. Tantôt ils les répriment eux-mêmes, tantôt ils
livrent au bras séculier ceux qui, convaincus d’hérésie, s’obstinent ;
tantôt ils adressent des réprimandes aux évêques négligents qui laissent l’hérésie
infecter leur troupeau. A l’un d’eux saint Innocent écrit en ces termes :
« Afin de leur ôter (aux hérétiques) la faculté de se pervertir davantage
et d’entraîner avec eux les âmes des simples et des agriculteurs dans l’abîme
qui leur est destiné, il a été résolu contre eux, par les défenseurs de notre
Eglise, qu’ils seraient chassés… C’est à vous, très cher frère, d’exécuter
ponctuellement cet ordre, de peur que, par un silence coupable, vous ne veniez
à perdre les peuples qui vous sont confiés et à rendre compte à Dieu de leur
perte. »
Saint Léon le Grand approuve et loue hautement les lois portées par les
empereurs contre les hérétiques priscillianistes. Il parle ainsi de ces
fauteurs de désordres (Ep. 15) : « Nos pères qui vivaient lorsque
cette hérésie abominable prit le jour, s’employèrent par tout le monde, avec un
zèle admirable, à chasser de toute l’Eglise cette fureur impie. Alors même des
princes du monde détestèrent tellement cette démence sacrilège, qu’ils
voulurent en abattre l’auteur, ainsi que beaucoup de ses disciples, par le
tranchant de l’épée des lois publiques, car ils reconnurent que ce serait ôter
toute pensée d’honnêteté, délier tout lien de mariage, et bouleverser le droit
divin et les lois humaines, que de permettre à ces hommes de vivre dans une
telle profession. Cette sévérité servit beaucoup la douceur ecclésiastique,
qui, contente du jugement sacerdotal, et fuyant la punition par effusion du
sang, reçoit néanmoins un véritable appui de la sévérité des lois des princes
chrétiens, lorsque plusieurs, par la crainte des supplices de cette vie,
recourent au remède spirituel.» [Le même saint Léon, dans une lettre écrite à
tous les évêques d’Italie, raconte ce qu’il a fait pour rechercher les
Manichéens, pour les punir par les censures ecclésiastiques, et pour livrer au
bras séculier les obstinés de la secte. Il presse tous les évêques d’Italie de
suivre son exemple. « Notre diligence, dit-il (Ep.8), nous a fait
découvrir à Rome beaucoup de docteurs et de disciples de l’impiété manichéenne ;
notre vigilance les a démasqués, et par notre autorité et les censures nous les
avons obligés à condamner Manès avec sa doctrine et ses règlements, et, par une
confession publique dans l’Eglise et par un acte signé de leur propre main, et
en leur accordant la pénitence après cette confession, nous les avons tirés de
leur impiété dévastatrice. Quelques-uns ensuite, qui s’y étaient tellement
plongés qu’ils ont été inaccessibles à tout remède, ont été soumis aux lois
suivant les constitutions des princes chrétiens ; afin que leur contagion
n’infectât pas le saint troupeau, ils ont été condamnés par jugement public au
bannissement perpétuel. Et parce que nous savons que quelques-uns des plus
coupables par leur obstination se sont enfuis, nous vous avons envoyé la
présente lettre par notre acolyte ; afin qu’en ayant informé votre
Sainteté, mes très chers frères, elle daigne agir avec plus de prudence et de
précaution pour empêcher ces pervers manichéens de trouver jour à attaquer vos
peuples et de former des maîtres de leur doctrine sacrilège. Car nous ne
pouvons gouverner autrement le troupeau qui nous est confié qu’en poursuivant
avec le zèle de la foi divine les corrupteurs et les sujets déjà gâtés, et en
éloignant des âmes encore saines, avec toute la sévérité possible, cette peste,
afin qu’elle ne se propage pas davantage. C’est pourquoi je vous conjure, je
vous exhorte et vous avertis de veiller avec toute la diligence convenable et
possible à la recherche de ces méchants, pour qu’ils ne trouvent pas le moyen
de se cacher »].
Sous le pontificat de saint Grégoire le Grand, l’évêque de Carthage,
Dominique, réunit un synode contre les Donatistes. Il est statué qu’on doit
rechercher partout ces hérétiques, et punir, par la privation des biens et des
dignités, ceux qui se montreront négligents dans cette recherche. Le Souverain
Pontife blâme seulement cet excès de peine, et il loue hautement le zèle de l’évêque
de Carthage et du Synode. « Nous nous sommes réjouis de votre zèle
pastoral…, surtout de ce que votre fraternité a cherché à préserver la province
d’Afrique, et n’a pas manqué de mettre, avec sa ferveur sacerdotale, un frein
aux sectes errantes des hérétiques. » Saint Grégoire ajoute que son désir
est de voir tous les hérétiques réprimés avec vigueur et avec justice par les
évêques catholiques. (L. 5, ép. 5). L’évêque de Carthage avait obtenu de l’empereur
des édits pour la répression, par la force, de ces hérétiques. La lettre du
pape saint Grégoire suggère à Muzzarelli les réflexions suivantes. Elle prouve
en effet :
1° Que les hérétiques étaient anciennement même punis pour cause de foi.
2° Que les pontifes eux-mêmes exhortaient les princes à exercer de tels
châtiments.
3° Qu’on imposait aux catholiques l’obligation de dénoncer les
hérétiques ; et que saint Grégoire, tout en désapprouvant l’excès de la
peine infligée à ceux qui négligeraient de faire la dénonciation, ne blâme
nullement l’ordre de dénoncer, ni la liberté prise par les évêques d’en imposer
l’obligation.
En plein moyen âge, « l’hérésie pullulait ». En 1184, la Diète
de Vérone ordonne aux archevêques et aux évêques de visiter ou de faire visiter
en leur nom les paroisses suspectées d’hérésie. De plus, elle veut que le
serment soit prêté devant le visiteur par trois hommes sûrs de la paroisse, ou
même davantage, elle commande de faire connaître au pasteur du diocèse les
hérétiques qu’ils découvriront. Cette dernière disposition est empruntée à un
décret du pape Lucius III.
Cette commission paroissiale, sanctionnée par les conciles d’Avignon et
de Montpellier, est rendue obligatoire pour chaque paroisse : en outre,
son fonctionnement régulier est assuré. Mgr Douais attribue ces mesures à la
terreur secrète qu’inspiraient les hérétiques : elle empêchait les
dénonciations nécessaires.
Le concile de Narbonne, en 1227, impose, de plus, le commissaire
synodal. En 1229, le légat du Pape Romain de Saint-Ange, préside le concile de
Toulouse, auquel assistent les archevêques de Narbonne, de Bordeaux, d’Auch, et
un grand nombre d’évêques. « Le concile, dit Mgr Douais, témoigne d’un
grand effort contre l’hérésie… L’oeuvre du concile de Toulouse peut se ramener
à trois points principaux : 1° Il établit dans chaque paroisse une
commission composée d’un prêtre et de deux ou trois laïques de bonne
réputation ». Cette mesure, on l’a vu, avait été imposée par des conciles
précédents. Les membres de la commission paroissiale devaient exercer une
surveillance active et signaler les hérétiques « à l’évêque et au seigneur
du lieu. » 2° Le concile de Toulouse « ordonna la recherche des
hérétiques par les seigneurs et les maîtres de la terre et édicta des peines
contre leurs officiers négligents. » 3° Pour prévenir toute injustice et
toute erreur judiciaire, il défendit de condamner qui que ce fût comme
hérétique, « à moins que l’évêque du lieu ou une autre personne d’Eglise
ayant pouvoir, ne l’eût jugé tel. »
Ce dernier point était d’une importance capitale. De graves conflits
pouvaient naître entre le pouvoir séculier et le pouvoir ecclésiastique. Le
juge ordinaire appelé à « connaître de l’hérésie », ce n’est pas le
roi ou le seigneur temporel, c’est l’évêque. Si les princes de la terre peuvent
et doivent dénoncer les personnes suspectes d’hérésie, ils n’ont aucun pouvoir
pour statuer sur leur cas, ils doivent les déférer à l’évêque, juge de la foi,
et ils ne peuvent punir comme hérétique que celui-là seulement qui, déclaré tel
par le pouvoir ecclésiastique, est livré par l’évêque au bras séculier.
En fait il y eut de nombreux abus : les laïques voulurent souvent s’ériger
en juges de la foi. L’Eglise, par ses conciles et par ses papes, protesta
toujours. Il fallait d’abord s’opposer à une violation flagrante du droit de l’Eglise
en cette matière. Il fallait aussi empêcher d’autres désordres qui résultaient
de ce premier abus. Des princes, des seigneurs dénués de tout scrupule, avaient
trop d’intérêt à trouver un hérétique dans un ennemi personnel ou dans l’homme
dont ils convoitaient les biens.
A la même époque, le concile de Latran imposa de nouvelles et graves
obligations aux princes séculiers par rapport aux hérétiques qui seraient dans
leurs domaines, mais il eut soin de rappeler avec précision que le pouvoir
séculier, pour sévir contre un hérétique, doit attendre qu’il ait été déclaré
tel par le jugement de l’Eglise. « Ce juge, c’était l’évêque. Le droit
était aussi ancien que formel à cet égard. »
L’inquisitio (recherche) est une information secrète faite selon la loi
par le juge ou magistrat au sujet d’un crime ou d’un criminel (Mgr Douais, L’Inquisition,
p. 114).
Nous disons premièrement une information ou enquête. Le droit romain l’avait
admise, mais elle avait été remplacée, dans nos contrées, par des coutumes
barbares d’importation germanique, devant les tribunaux civils. C’étaient les
ordalies, épreuves par le feu. C’est l’Eglise qui rétablit la preuve par le
témoignage, soit l’enquête, devant ses tribunaux ; puis les tribunaux
civils l’adoptèrent. « L’Eglise, dit M. de l’Epinois, en adoptant la
preuve testimoniale, fit rentrer la justice dans sa véritable voie, celle qui
conduit à la vérité matérielle.» « La supériorité, dit M. Faustin Hélie,
dans son Traité de l’instruction criminelle, était évidemment du côté des
justices ecclésiastiques. » (Tom. I, p. 408) M. Pardessus, dans un Mémoire
de l’Académie des inscriptions, fait l’éloge de cette procédure, qui, dit-il,
est encore à la base de toutes celles que l’on suit dans les tribunaux
modernes. »
L’inquisitio est deuxièmement une information secrète. Sans doute l’enquête
secrète n’était pas admise dans le droit romain, ni, au début, dans le for
ecclésiastique. « A Rome, dit Faustin Hélie, le principe dominant toute la
procédure était la publicité complète de tous les actes de la procédure ».
C’est seulement à partir d’Innocent III (1198-1216) que l’enquête secrète fut
admise dans le droit ecclésiastique, et elle ne le fut pas seulement en matière
d’hérésie, mais pour tous les crimes. Des tribunaux ecclésiastiques l’inquisitio
passa aux tribunaux civils. Elle fut adoptée communément.
Pas plus en matière d’hérésie qu’en toute autre la complète publicité de
la procédure n’est strictement requise pour que le jugement soit juste. La
bonne justice dépend de la fidélité et de la prudence du magistrat. Le juge qui
possède ces qualités évite les abus auxquels pourrait donner lieu une enquête
secrète ; il conduit celle-ci de manière à assurer un jugement juste et
équitable. Telle était la pensée d’Innocent III quand il posait les règles de l’inquisitio,
et de Grégoire IX (1227-1241), quand il publiait ses Décrétales, où il
consacrait l’enquête secrète. Il faudrait être bien téméraire pour oser croire
que les Souverains Pontifes ont en cela manqué de justice ou de sagesse. L’expérience
avait montré que si la publicité de la procédure a ses avantages, il est des
cas où elle présente des inconvénients graves. De nos jours l’enquête secrète
du juge d’instruction, dans la justice civile, précède la procédure publique,
et nul n’y trouve à redire.
L’inquisiteur (inquisitor) ne paraît sous ce nom, dans les textes
canoniques, qu’au XIIIe siècle, sous Grégoire IX. Le titre complet est
inquisitor pravitatis hereticæ (inquisiteur de la perversité hérétique).
Il se distingue de l’évêque, enquêteur et juge ordinaire en matière de
foi, en ce qu’il est un juge délégué du Saint-Siège pour les causes d’hérésie.
Quelle fut la raison déterminante de l’institution de cet Inquisitor ? Au
XIIIe siècle, l’hérésie, dit Mgr Douais, était « organisée, forte,
influente ». Elle exerçait, « au sein de la société chrétienne, des
ravages profonds ». Mgr Douais n’admet pas cependant que la gravité du
péril explique suffisamment l’institution du nouveau tribunal, puisqu’il y
avait partout des pasteurs, juges ordinaires en matière de foi. Certains
auteurs allèguent la mollesse des évêques, et il est vrai que certains
négligèrent leur devoir, ou même favorisèrent les hérétiques ; mais Mgr
Douais pense que le reproche d’inertie a été exagéré. Beaucoup d’évêques s’opposaient
au fléau dans leurs diocèses respectifs, ils tenaient des conciles dans les
régions qu’infestait l’hérésie. « En fait, dit-il, l’Inquisition fut
établie d’abord dans les diocèses dont les évêques comptaient parmi les plus
zélés, les plus exacts, les plus rigoureux. » Mgr Douais pense que
Grégoire IX, au milieu de ses graves conflits avec Frédéric II, se trouva dans
la nécessité d’opposer ce nouveau juge inquisitorial aux prétentions
exorbitantes de l’empereur. Frédéric s’érigeait en maître souverain dans la
répression des hérétiques, au point de prononcer lui-même sur la question de
foi. Il usurpait ainsi les droits de l’Eglise, accusait d’hérésie ses
adversaires personnels, et confisquait leurs biens pour subvenir aux frais de
sa politique. C’est à l’époque des grandes luttes entre Grégoire IX et Frédéric
II que paraît officiellement, pour la première fois, le terme d’Inquisitor dans
un statut publié en 1231, à Rome, contre les hérétiques.
Telle est l’imminence et l’universalité du péril de la foi que, de Rome,
l’institution de l’inquisiteur délégué du Saint-Siège passe à Milan, à
Florence, puis dans le Brabant (1232), à Tarragone (1232), en Bourgogne (1233),
dans le Midi de la France, en Allemagne, dans presque tous les pays d’Europe.
Que reproche-t-on, en vérité, au tribunal de l’inquisiteur ? Est-ce
l’enquête privée ? Elle a sa raison d’être, nous l’avons vu, elle n’a pas
été instituée pour lui, elle existait avant lui. Est-ce l’appel au bras
séculier pour infliger, par exemple, la peine de mort ? Mais cet appel,
pleinement conforme au droit, était en vigueur depuis des siècles. Est-ce la
torture, infligée parfois, elle aussi, par le juge séculier, au cours de la
procédure inquisitoriale ?
La torture, a-t-on dit, a été instituée par le tribunal de l’inquisiteur.
C’est faux. « La torture, dont l’usage devint général, écrit M. de l’Epinois,
fut un legs de la double procédure romaine et germanique fait au monde
moderne ; ELLE NE VINT PAS DU DROIT CANONIQUE. Lorsqu’à la suite des
études sur le droit romain on admit la question, l’Eglise en repoussa d’abord,
puis en limita l’usage, comme précédemment elle avait repoussé et limité l’usage
des ordalies (épreuves par le fer rouge et l’eau bouillante). »
Avant d’être admise par les Romains, et dès les temps les plus reculés,
la torture était employée en Egypte et en Assyrie. Au moyen âge elle était
partout en vigueur devant la justice séculière. Elle fut interdite devant les
tribunaux ecclésiastiques jusqu’au milieu du XIIIe siècle, et le tribunal de l’inquisiteur
fonctionna lui-même vingt années avant que le pape Innocent IV permit, sans l’ordonner
en aucun cas, l’usage très limité de la torture. Cette permission n’était pas
spéciale à l’inquisiteur délégué du Saint-Siège, mais elle était restreinte à
la seule cause d’hérésie. Ce n’est pas à son gré que l’inquisiteur pouvait
livrer l’accusé au juge séculier qui infligeait la question ou la torture. Il
devait épuiser d’abord tous les autres moyens, surtout la persuasion, pour
obtenir les aveux nécessaires, et ne recourir ou ne se résigner à celui-là que
dans les cas où l’inculpé avait déjà contre lui des preuves sérieuses, capables
de persuader à l’inquisiteur sa volonté obstinée de nier systématiquement. En
fait, dit Mgr Douais, « la torture fut employée avec modération ou même
rarement… Les documents qui nous restent, par exemple, de l’inquisition dans le
Languedoc, où elle fut si active, ne nous mettent en présence que de trois cas
certains. » Jamais elle ne pouvait aller jusqu’à la mutilation.
Ce n’est pas à l’Eglise, ce n’est pas au tribunal de l’inquisition qu’est
due l’institution de la torture. Au contraire, c’est à l’influence de l’Eglise
qu’il faut attribuer sa suppression.
L’Inquisitor ne poursuit pas l’hérétique « pour une faute de conscience
contre la foi », mais bien pour ses actes extérieurs troublant l’ordre
public ou semant des germes d’anarchie. Les catholiques non hérétiques et les
infidèles peuvent aussi être poursuivis par l’inquisiteur pour des fautes
extérieures et sociales ayant rapport avec l’hérésie, par exemple, s’ils
favorisent les hérétiques. Après la diffusion du Talmud, subversif de l’ordre
religieux et social, les Juifs tombent aussi sous la juridiction de l’Inquisitor.
L’hérétique qu’il poursuit est, dit Mgr Douais, « un ennemi public armé
pour la lutte religieuse et sociale. « Il en est de même de son complice,
catholique ou infidèle.
L’inquisiteur exerce les droits qu’il tient du Saint-Siège, sans
préjudice de ceux de l’évêque, qui conserve tous ses pouvoirs pour la
répression des hérétiques. Du reste, comme on le verra, l’inquisiteur délégué
du Saint-Siège, au cours de la procédure, doit prendre l’avis de l’évêque
diocésain.
L’inquisiteur délégué du pape appartient à un ordre religieux. Il reçoit
sa délégation quelquefois pour un diocèse, plus souvent pour une contrée, pour
un royaume ; non pas pour tous les crimes, mais pour l’hérésie tenace et
pour les crimes qui ont connexion avec elle. On rencontre déjà quelques cas
isolés de ce tribunal d’exception sous Innocent III (La délégation est donnée
par un légat, et elle n’est pas Permanente), mais c’est sous Grégoire IX qu’il
devient une institution permanente.
VI. – « L’inquisiteur de la perversité hérétique »
(suite) ; la procédure au tribunal de l’inquisiteur.
Le juge personnellement délégué par le Saint-Siège a reçu l’investiture
par une bulle pontificale. Il compose sa cour de justice, il constitue son
tribunal d’inquisition, dans tel pays, dans telle province.
En ce tribunal d’exception, si injustement décrié, toute la procédure
est réglée par les Pontifes romains. Le code en est « savant, logique et
sage ». Le droit canonique, les Bulles pontificales, les manuels des
inquisiteurs, les procès-verbaux de l’inquisition en font foi.
L’inquisiteur peut être informé par la rumeur publique, par des
dénonciations, par divers témoignages. Il ne faut pas oublier que partout la
dénonciation est admise dans le droit. L’inquisiteur ne s’en tient pas à des
accusations qui peuvent être plus intéressées que fondées : il prescrit
une enquête secrète pour contrôler, préciser, compléter les dépositions qu’il a
reçues. Il a aussi l’obligation de consulter l’évêque et des hommes prudents,
compétents, sur la valeur des témoins. Avant toute poursuite il annonce un
temps de grâce, qui dure un mois, et qui est consacré surtout à la prédication
pour éclairer et ramener les coupables. Ceux-ci peuvent se présenter, avouer,
se sauver, car, s’ils promettent de renoncer à l’hérésie, et s’ils donnent des
garanties, ils ne seront pas poursuivis.
Le temps de grâce passé, l’inquisiteur cite à comparaître ceux sur qui
pèsent des accusations sérieuses. Ils sont interrogés, soit sur leurs propres
fautes – en matière d’hérésie ou de complicité – soit sur les cas d’hérésie
chez les autres. L’inquisiteur prescrit les enquêtes qu’il juge nécessaires.
Ici intervient quelque fois la mise à la question dans les conditions indiquées
plus haut. Il faut ajouter que, si l’accusé se croit chargé par l’inquisiteur,
il peut le récuser, et alors l’inquisiteur ou bien fait droit à sa réclamation,
ou bien charge son délégué de conduire l’affaire. En outre, le prévenu peut en
appeler au pape, même au cours du procès, s’il estime qu’on use envers lui d’une
rigueur excessive, par exemple, en le soumettant à la torture.
Les témoins sont entendus. Leurs dépositions, consignées par écrit, sont
communiquées à l’accusé. Il a droit de se défendre, et il y est invité. De nos
jours la justice séculière inflige une dure prison préventive à des personnes
qui, arrêtées sur un simple soupçon, sont ensuite reconnues innocentes. Aucune
compensation ne leur est accordée. La prison préventive de droit n’existe pas
au tribunal de l’inquisition ; mais l’inquisiteur prend ses sûretés ;
il peut exiger de l’accusé le serment de rester à sa disposition, et, s’il est
condamné, de subir la peine.
Les peines diverses que peut infliger le tribunal sont des oeuvres pies,
des pèlerinages, le service de la croisade, une amende, une croix en étoffe à
porter pendant un certain temps sur le vêtement, l’assistance, avec cette
croix, à une cérémonie, par exemple à une procession. Autres peines : les
verges, la dégradation (pour un prêtre ou un religieux), la confiscation (si le
criminel est en fuite ou contumace), le retranchement du corps de l’Eglise, l’incapacité,
pour le coupable et ses descendants, d’exercer une charge publique.
L’inquisiteur ne prononce jamais lui-même la peine de mort ; c’est
l’affaire du juge séculier, on l’a dit ; mais jamais le tribunal de l’inquisition
ne déclare le criminel séparé du corps de l’Eglise et ne le libre au bras
séculier, qu’après avoir fait en vain toutes les tentatives en son pouvoir pour
l’amener à la pénitence. En effet, si le coupable vient à se repentir, il a la
vie sauve.
M. Henri Martin s’est distingué dans le concert d’invectives contre le
tribunal de l’Inquisition. Dans la Revue des Questions historiques (1870-1871),
M. Henri de l’Epinois a publié un travail sous ce titre : Critiques et
réfutations de M. Henri Martin. M. de l’Epinois a vérifié certains textes cités
par le trop célèbre historien, et il prouve que celui-ci les a sciemment
altérés. Après avoir donné le texte authentique d’un règlement à l’usage des
inquisiteurs, texte mutilé par M. Henri Martin, M. de l’Epinois ajoute :
« Je ne vois rien là de bien terrible, et j’entends proclamer ce grand but
de la pénalité poursuivi par les criminalistes et réalisé seulement par l’Eglise :
la correction des coupables. »
De ses débuts à sa conclusion, la procédure du tribunal de l’Inquisition
montre un parti-pris non de sévérité implacable, comme on s’est plu à le dire,
mais de miséricorde d’abord, puis d’équité. Avant tout l’inquisiteur veut
procurer l’amendement des coupables. Au début, ils sont appelés à entendre la
prédication. Plus tard l’inquisiteur cherche à les persuader ; il les fait
visiter, s’il y a lieu, par deux hommes sûrs, « fidèles et
prudents », qui s’efforcent de les éclairer par de bonnes paroles et d’obtenir
qu’ils fassent des aveux.
L’inquisiteur est-il obligé de punir, la peine, autant que possible,
sera médicinale. Il a le pouvoir de la modifier même après qu’il a porté la
sentence ; il n’en use guère pour l’aggraver, mais souvent pour la commuer
en l’adoucissant et pour la diminuer. De nombreux procès-verbaux prouvent qu’il
en a été ainsi. Du reste les encouragements du Saint-Siège inclinent toujours l’inquisiteur
dans le sens de l’indulgence. Quelquefois même la peine est simplement remise
en tout ou en partie par l’inquisiteur à cause de la vieillesse ou de l’infirmité
du coupable, ou bien en raison des besoins de sa famille, ou des services
rendus, ou pour d’autres motifs. Quel juge civil pourrait en faire
autant ?
Le Père Lacordaire définit ainsi le caractère de l’inquisition
ecclésiastique, dans un travail joint à sa Vie de saint Dominique, et dans son
Mémoire pour les Frères Prêcheurs :
« Il n’y avait pour les fautes des hommes, dit-il, que deux sortes
de tribunaux de la pénitence chrétienne. L’inconvénient de ceux-ci était de n’atteindre
que les pécheurs apportant volontairement l’aveu de leurs fautes. L’inconvénient
de ceux-là, qui avaient la force en main, était de ne posséder aucune puissance
sur le coeur des coupables, de les frapper d’une vindicte sans miséricorde.
« Entre ces deux tribunaux, le pape voulut établir un tribunal intermédiaire,
un tribunal qui pût pardonner, modi- fier la peine même prononcée, engendrer le
remords dans le criminel, et faire suivre pas à pas le remords par la
bonté ; un tribunal qui changeât le supplice en pénitence… et qui n’abandonnât
ses justiciables au bras fatal de la justice humaine, qu’à la dernière
extrémité. » L’inquisiteur n’est pas seul à rendre la sentence. Il a des
assesseurs qui composent son conseil permanent, et qui, comme lui, relèvent du
Saint-Siège et forment avec lui une personne morale. L’inquisiteur est de plus
obligé de consulter l’évêque diocésain et des jurisconsultes éprouvés. Ce n’est
pas une simple formalité, ni, quant à l’évêque, une mesure destinée seulement à
garantir ses droits : c’est un devoir imposé à l’inquisiteur avant tout
dans le but d’assurer le plus possible la sagesse et l’intégrité du jugement.
La sentence n’est rendue qu’en pleine connaissance de cause, et après mûre
délibération. « La justice inquisitoriale, écrit Mgr Douais, avait été
organisée de façon à assurer la sagesse, l’impartialité, la légalité des
sentences du juge, qui eut toujours, pour l’assister, des consiliarii, et au
XIVe siècle, des conseils solennels ou jurys, qu’il consultait et dont il
suivait l’avis » (L’Inquisition, p. 256).
Certes, il valait mieux, pour l’hérétique, être jugé par le tribunal de
l’Inquisition que par le juge séculier. Il ne faut pas oublier que dès le Xe
siècle, l’hérésie était considérée par toute la législation comme un crime de
droit commun. L’Inquisition épargnait ainsi aux accusés ces exécutions
précipitées qu’opère une foule aveugle et impitoyable, trop souvent exaspérée
par les excès des hérétiques. Par cette pratique, on court le risque de
dépasser toute mesure dans la répression et même de confondre les innocents
avec les coupables.
C’est un moine, un grand inquisiteur général de la chrétienté, saint
Jean de Capistran, qui a interdit le premier, d’une manière absolue, l’usage de
la torture.
On accuse les moines de l’avoir inventée ! ce sont eux qui l’ont
supprimée ! Elle était, nous l’avons vu, un legs des barbares, et même des
païens soi-disant civilisés. Mais telles étaient la force de la coutume et la
ténacité des préjugés que saint Jean de Capistran, pour réussir dans sa
croisade contre la torture, en fut réduit à employer un stratagème où la
torture elle-même jouait son rôle. Ecoutons M. de Kerval dans son ouvrage sur
Saint Jean de Capistran.
« Il s’introduisit en secret dans les écuries de son propre palais,
y choisit une selle d’un grand prix, ornée apparemment d’or et de pierreries,
telle que les riches seigneurs en possédaient alors, l’emporta à l’insu de tous
et la cacha avec soin. Quelque temps après il donna l’ordre de seller ses chevaux.
La selle naturellement ne se trouva plus. Le palefrenier fut accusé de l’avoir
dérobée, et Jean de Capistran fit instruire son procès à grand bruit. D’abord
le serviteur nia avec énergie le méfait qui lui était imputé ; mais lorsqu’il
fallut endurer la torture, il déclara avoir commis le vol : il avait
enfoui la selle, disait-il, dans un endroit qu’il désigna.
« Des perquisitions y furent opérées. Comme elles demeuraient sans
résultat, le palefrenier fut soumis de nouveau à la torture et prétendit avoir
vendu la selle à quelqu’un dont il ne put donner le nom. Capistran alors fit
connaître solennelement la vérité ; il proclama l’innocence de l’accusé qu’il
combla de présents ; puis il défendit en conséquence de recourir désormais
à la torture.
« Cet épisode avait vivement frappé les esprits ; le souvenir
en demeura vivant dans la contrée, et deux cent cinquante ans plus tard les
vieillards le redisaient encore. »
Nous allons voir comment, dans l’esprit de l’Eglise, saint Jean de
Capistran exerça les fonctions de grand inquisiteur en Italie, en Allemagne, en
Pologne.
Une Histoire des Juifs, faite par un juif allemand Goertz, traduite en
français par des rabbins, avec une préface par Zadoc-Kahn, a paru au début du XXe
siècle. Saint Jean de Capistran, le grand inquisiteur, y est représenté comme
un monstre.
M. de Kerval, dans sa belle étude sur saint Jean de Capistran, son
siècle et son influence, a fait justice d’avance de ces calomnies. Nous
résumons son chapitre intitulé le grand inquisiteur.
Vers la fin du XIVe siècle et au début du XVe, l’Italie et l’Allemagne
sont infestées par des hérétiques aux mœurs abominables, féroces et
sacrilèges ; Wiclef et Jean Huss adoptent leurs erreurs, propagent leurs
blasphèmes et deviennent leurs chefs.
En 1415, ces hérétiques parcourent l’Allemagne et la Bohème, les armes à
la main ; ils veulent imposer leurs croyances par le fer et par le
feu ; sur leur passage, c’est partout la ruine et la désolation. Ils
saccagent les églises, les couvents, les palais, égorgent les prêtres, les
bourgeois, rançonnent les marchands. En 1419, 40 000 d’entre eux, réunis sur la
montagne de Pilsen, fondent une cité qui devient leur camp retranché pour
dévaster le pays. En 1420, ils s’emparent de la ville d’Aost, passent les
habitants au fil de l’épée.
« Toutefois, dit M. de Kerval, au sein de cette nuit de ténèbres et
de sang, en face de ces insurgés fanatiques et de ces prophètes de l’enfer,
saint Jean de Capistran se dressa comme la sentinelle avancée de la papauté,
comme le fléau de l’hypocrisie et de la rébellion, comme le rempart
inexpugnable de la vérité catholique. Le pape l’avait nommé inquisiteur général
pour toute la chrétienté. »
« Partout où l’inquisition fut aux mains des Frères Mineurs, ajoute
M. de Kerval, elle fut un modèle de prudence et de clémence. C’EST UN FAIT QUE
NOUS CONSTATONS LES PIÈCES EN MAIN, ET QUE NOUS METTONS AU DÉFI QUI QUE CE SOIT
DE CONTREDIRE PAR DES DOCUMENTS AUTHENTIQUES. »
1° Il s’efforçait d’éclairer les hérétiques par la prédication et
réfutait leurs objections en public.
2° Il faisait arrêter ceux dont les crimes étaient publics et notoires.
3° Il pardonnait à quiconque témoignait du repentir.
4° Il n’employait jamais la torture.
5° Il livrait au bras séculier ceux-là seulement qui, après avoir été
pardonnés et graciés, retombaient dans leurs crimes, crimes que les lois
civiles de l’époque punissaient rigoureusement.
Jean de Capistran était moins sévère pour les petits et les pauvres que
pour les puissants qui usaient de leur autorité ou de leur prétendue science
pour corrompre le peuple. Près de Rome, il fit mettre en prison une noble dame
de la famille des Colonna convaincue d’hérésie. Elle ne fut rendue à la liberté
qu’après avoir abjuré ses erreurs et réparé ses scandales.
Voici comment il anéantit la secte des Fraticelles, qui ravageait la
Toscane, le duché de Florence, la Marche d’Ancône, et persécutait les
catholiques. Saint Jean de Capistran et saint Jacques de la Marche s’arment d’abord
contre eux du glaive de la parole de Dieu ; ils réfutent leurs erreurs.
Beaucoup d’égarés se convertissent : les autres tremblent et se taisent.
Jean de Capistran fait renverser les maisons et les temples où ils tiennent des
assemblées criminelles. Quant aux relaps et aux impénitents qui s’obstinent
dans leurs erreurs et dans leurs crimes, il les livre au juge civil.
En face du Juif, cet oppresseur des pauvres, le grand inquisiteur se
lève comme la justice même. Il réclame des princes des mesures sévères contre
les banquiers juifs qui pressurent les malheureux.
On trouve, aux archives de Naples, un document original fort curieux,
que M. de Kerval reproduit en entier. C’est un décret de la reine de Naples
Jeanne II, daté d’Aversa le 3 mai 1427. Il confère les plus amples pouvoirs au
grand inquisiteur Jean de Capistran pour procéder contre les Juifs et réprimer
leurs usures. La reine leur défend d’opposer au grand inquisiteur les
privilèges qui leur auraient été octroyés dans le passé, sous peine de
confiscation de tous leurs biens meubles et immeubles. Ces lettres et ces
privilèges « devront être déchirés ou livrés aux flammes ». La reine
autorise Jean de Capistran à imposer aux Juifs des ordres et des défenses sous
les peines les plus sévères qu’il lui plaira de fixer.
Lorsque Jean de Capistran exerce en Pologne ses fonctions
inquisitoriales, une femme juive est témoin d’un miracle eucharistique, en
assistant à des scènes sacrilèges de profanation par ses coreligionnaires. Elle
se déclare chrétienne ; elle est assassinée, les Juifs cachent son
cadavre, et le font disparaître. Le grand inquisiteur ordonne des recherches.
Les cadavres sont retrouvés, les assassins font des aveux. Jean de Capistran
les livre à la justice séculière : celle-ci, selon les lois en vigueur les
condamne au feu.
Nous avons vu à l’oeuvre, dans l’esprit de l’Eglise et sous sa
direction, un grand inquisiteur. Certes, il ne ressemble guère à ces moines
stupides et féroces peints par Voltaire, Michelet et tant d’autres. Il
représente la justice tempérée de miséricorde.
« La question des Albigeois, dit Mgr de la Bouillerie, est l’une de
celles où l’histoire a le plus conspiré contre la vérité.»
Henri Martin se plaît à montrer, dans un tableau des plus sombres, saint
Dominique et « son oeuvre sanglante ». Saint Dominique, dit-il,
« passe pour le génie de l’inquisition incarnée». Il offre « un de
plus terribles exemples de ce que le fanatisme peut faire des meilleures
natures » (Hist. de France, pp. 25, 26, 285).
On croirait voir saint Dominique, armé d’une hache, conduire une légion
d’inquisiteurs au massacre des Albigeois inoffensifs.
Ecoutons maintenant Mgr de la Bouillerie : « Saint Dominique
vint se fixer à Fanjeaux, où l’éloquence de sa parole, la sainteté de sa vie,
mais surtout l’aide de la très Sainte Vierge, en l’honneur de laquelle il institua
le saint Rosaire, déterminèrent un grand nombre d’âmes à quitter le sentier de
l’erreur : mais ces âmes nouvellement converties, ne cessaient pas d’être
circonvenues par les ennemis de l’Eglise, et ce fut pour préserver quelques
jeunes filles de la perfide atteinte des sectaires qu’en l’année 1208, saint
Dominique jeta, au pied de la colline de Fanjeaux, les premiers fondements du
monastère de Prouille, qui devait être lui-même l’origine de l’Ordre des Frères
Prêcheurs » (Pierre de Castelnau, p. 49).
« Notez, dit M. de l’Epinois, après avoir cité l’apostrophe
indignée de M. Henri Martin contre saint Dominique, notez que saint Dominique,
mort en 1221, a été complètement étranger à l’inquisition établie dix ans
après » (Revue des Quest. hist., vol. IX, p. 413).
La remarque est piquante, et nous amène à parler des causes qui ont
amené l’établissement de l’inquisition dans le midi de la France. Nous verrons
que, loin de provoquer les Albigeois, comme le fait entendre M. Henri Martin, l’Eglise
a usé d’une extrême patience vis-à-vis de ces sectaires. Trente années avant l’établissement
de l’inquisition contre les Albigeois, le pape Innocent III, effrayé des
ravages de la secte dans le midi de la France, avait entrepris de sauver la foi
des peuples et de vaincre l’hérésie, non par la violence et les supplices, mais
par la prédication, et aussi par l’excommunication des seigneurs qui favorisent
les hérétiques.
Mgr de la Bouillerie, dans son ouvrage sur Pierre de Castelnau et les
Albigeois au XIIe siècle, dépeint l’état lamentable de la France
méridionale ; il montre la secte albigeoise, envahissant les villes et les
campagnes, subjuguant les riches comme les pauvres, trouvant des alliés
puissants dans Raymond VI, comte de Toulouse, dans Raymond Roger, vicomte de
Carcassonne, et de nombreux affidés dans le clergé même.
« L’hérésie était partout, elle dominait partout, écrit l’évêque de
Carcassonne, et de même qu’au IVe siècle, après le conciliabule de Rimini, le
monde avait gémi, s’étonnant d’être ‘61rien, de même ne nous serait-il pas
permis de dire qu’au XIIIe siècle nos contrées méridionales se réveillèrent
dans la stupeur, s’étonnant qu’au milieu d’elles une hérésie impure se fût
substituée à l’Eglise. »
L’archevêque de Narbonne, Bérenger, soutenait les hérétiques. Un autre
Bérenger, évêque de Carcassonne, défendait au contraire la foi catholique et
veillait sur son troupeau, mais les Albigeois le chassèrent de sa ville
épiscopale. Innocent III, dit Mgr de la Bouillerie, vit la plaie profonde qui
dévorait le midi de la France, et il entreprit de la guérir… Il résolut d’abord
de députer vers nos contrées des légats et des missionnaires pour essayer de
ramener les peuples à la pureté de la foi ; puis, si l’influence des
légats et la parole des missionnaires demeuraient sans effet, il se promit,
pour défendre au moins contre les loups dévorants le petit troupeau fidèle, de
recourir à l’autorité de ceux qui ne portent pas le glaive en vain. »
Ces dernières paroles ne font pas allusion à l’inquisition, mais à la
croisade contre les Albigeois ; celle-ci aurait lieu seulement au cas où
la prédication et les armes spirituelles ne suffiraient pas.
« Dieu, continue le même auteur, pour servir les desseins de son
pontife, suscita dans l’Eglise les hommes dont elle avait besoin, deux saints,
le Bienheureux Pierre de Castelnau et saint Dominique de Guzman ; un
héros, Simon de Montfort. »
C’est en 1203 que Pierre de Castelnau, religieux cistercien, délégué par
Innocent III, commence à Toulouse même, un des chefs-lieux de la secte, ses
prédications pour ramener le peuple à la foi. Au début, sa parole n’est pas
sans effet, mais bientôt l’hérésie devient plus menaçante que jamais. Pierre de
Castelnau et Raoul son collègue continuent leur légation dans les pays livrés à
l’hérésie. Ils confondent, dans des conférences publiques, les hérétiques de
Carcassonne. Mais des évêques et des princes gagnés à la secte rendent leur
tâche impossible. Pierre de Castelnau demande au Pape de rentrer dans son
monastère. Innocent III, dans une lettre pleine de vigueur apostolique, le
presse de remplir jusqu’à la fin le ministère qu’il lui a confié.
Pierre de Castelnau dépose l’évêque Raymond de Rabastens, partisan de l’hérésie,
parcourt les provinces d’Arles et de Vienne, se trouve, en 1206, à Montpellier,
déplorant, avec Frère Raoul, la stérilité de ses efforts.
En juillet 1206, il reçoit, à Montpellier, la visite de Diégo d’Azèbes,
évêque d’Osma, accompagné d’un chanoine régulier, sous-prieur de son
église ; ce sous-prieur n’est autre que Dominique de Guzman.
L’évêque, le sous-prieur, Pierre de Castelnau et Raoul unissent leurs
efforts, pratiquent la pauvreté apostolique, prêchent la vérité, obtiennent de
nombreuses conversions. Pierre de Castelnau est le plus redouté par les
hérétiques : ceux-ci tentent de l’assassiner une première fois, puis une
deuxième.
Le 15 janvier 1209, Pierre tombe dans un guet-apens habilement dressé
par le comte de Toulouse. Il va passer le Rhône à Saint-Gilles, quand deux
hommes s’approchent. L’un d’eux le traverse d’un coup de lance. Pierre tombe en
s’écriant : Seigneur, pardonnez-lui comme je lui pardonne ! Peu
après, il expire. L’Eglise a béatifié Pierre de Castelnau, martyr de la foi.
Cependant Dominique, retiré à Fanjeaux, convertit une multitude d’hérétiques
par sa prédication et par la puissance du rosaire. Il n’y a pas encore d’inquisition
ni de croisade. Mais après le crime de Saint-Gilles, « la mesure était
comble, il parut à Innocent III que le moment était venu pour l’Eglise de
songer à une légitime défense ».
C’est alors que le Souverain Pontife appelle les princes chrétiens à la
croisade contre les Albigeois. « Ces hommes de pestilence, écrit-il, après
avoir pillé nos biens, en veulent maintenant à nos personnes, ils ne se bornent
plus à aiguiser leurs langues contre nos âmes ; ils arment leurs mains
contre nos corps, tout à la fois ennemis félons de nos âmes et assassins de nos
corps… Levez-vous donc, soldats du Christ, levez-vous, valeureux champions de
la milice chrétienne ! Que le gémissement de l’Eglise vous émeuve et qu’un
zèle ardent vous enflamme pour venger l’injure faite à Dieu. Bien que celui qui
nous a créés n’ait jamais besoin de nous, voici cependant qu’il met entre vos
mains l’occasion de le servir. Depuis l’assassinat de ce juste, l’Eglise sans
consolateur est comme assise dans la tristesse et le deuil. La foi s’évanouit.
La paix n’est plus nulle part ; le fléau de l’hérésie et la rage des
sectaires font chaque jour de nouveaux progrès, en sorte que si on ne vient en
aide au vaisseau de l’Eglise, en cette nouvelle tempête, il semblerait qu’il
dût faire naufrage. C’est pour cela que nous vous avertissons, vous exhortons
et vous enjoignons même de la part du Christ, en cette nécessité pressante, de
ne plus tarder à voler au devant de si grands maux, de nous aider à pacifier
ces peuples en Celui qui est le Dieu de la paix et de l’amour, d’user de tous
les moyens qui vous seront suggérés par Dieu, dans le but d’abolir à jamais ces
sectaires que vous devez combattre avec d’autant plus de sécurité pour vos âmes
qu’ils sont pires que les Sarrasins » (Bul., ép. 65.).
Ainsi parle le pape Innocent III. Les princes catholiques accourent à sa
voix, prennent les armes, assiègent Béziers, et s’en emparent. Le 1er août
1209, ils arrivent devant Carcassonne. Le 2 août, ils donnent l’assaut du
premier faubourg. La bataille est rude. Les évêques et les prêtres, au camp des
croisés, chantent le Veni Creator, lèvent leurs mains vers le ciel. Après deux
heures de combat, un hardi chevalier escalade le premier la muraille. C’est
Simon de Montfort, un hérios que les écrivains huguenots ont travesti en tyran
mais auquel Innocent III a décerné de magnifiques éloges.
Le 15 août, la ville est prise d’assaut. Le 12 septembre 1213, Simon de
Montfort gagne la bataille de Muret qui assure le triomphe de l’Eglise.
Plus tard, pour empêcher la secte albigeoise de se reformer, de
compromettre la paix conquise au prix de tant d’efforts, le tribunal de l’Inquisition
est établi dans le midi de la France.
On voit ce que valent les calomnies d’Henri Martin contre Dominique,
« l’inquisition incarnée », saint Dominique, mort en 1221, et contre
« son oeuvre sanglante ».
I. Pourquoi fut instituée la nouvelle Inquisition
La nouvelle Inquisition fut instituée pour sauver la foi de l’Espagne et
pour empêcher la ruine de la nation en rendant bonne et loyale justice. L’ancienne
inquisition existait en Espagne dans le royaume d’Aragon, dès le XIIIe siècle.
L’hérésie des Albigeois y exerçait ses ravages, et les ordonnances du concile
de Toulouse y furent mises à exécution depuis 1229. Grégoire IX recommanda, en
1232, à l’archevêque de Tarragone et à ses suffragants de faire rechercher les
hérétiques par les Dominicains, s’ils ne le faisaient pas eux-mêmes.
En 1248, Innocent III informa saint Raymond de Pennafort, de l’ordre de
saint Dominique, qu’il avait résolu de confier aux Frères prêcheurs la mission
de déraciner l’hérésie. Des tribunaux d’inquisition furent établis en Aragon,
en Castille, en Navarre et en Portugal, et confiés aux religieux de cet ordre.
Au milieu du XVe siècle, ces tribunaux ne fonctionnaient plus, surtout en
Castille. Cependant la foi et la nationalité des peuples de la Péninsule
étaient menacées par les faux convertis du judaïsme et de l’islamisme, appelés,
les premiers maranos, les derniers, morisques.
Depuis de longs siècles, les juifs étaient très nombreux en Espagne. Les
Visigoths, maîtres du pays avant l’invasion musulmane, avaient dû les réprimer
sévèrement. Le prosélytisme des Juifs était un danger permanent pour l’ordre
public et la religion. Ils pratiquaient l’usure, le commerce des esclaves, même
chrétiens, et usaient de toute leur influence pour faire apostasier les
fidèles. Les Visigoths les privèrent d’un grand nombre de droits civils.
Beaucoup demandèrent hypocritement le baptême, mais continuèrent à judaïser, à
exercer secrètement leur action corruptrice et dissolvante.
« Aucun juif, dit le IVe concile de Tolède, ne devra désormais être
contraint à embrasser le christianisme ; mais ceux qui ont été convertis
de cette manière doivent conserver la foi, à cause des sacrements qu’ils ont
reçus, et se bien garder de la mépriser ou de la blasphémer. »
Non contents d’insulter la foi chrétienne, les anciens maranos se mirent
d’accord avec les Sarrasins d’Afrique, et ourdirent une conspiration contre les
rois Visigoths. « Les Juifs, dit le VIIe concile de Tolède, après avoir
souillé la tunique de la foi dont la Sainte Mère l’Eglise les a revêtus dans le
baptême, se sont efforcés, par une audace tyrannique, de ruiner la patrie et la
nation tout entière et d’usurper le trône. » Mais le complot fut déjoué,
les Sarrasins furent repoussés, les coupables punis.
Dans les siècles suivants, les Juifs d’Espagne, et surtout les faux
convertis du judaïsme, jouent le même rôle qu’au temps du royaume Visigoth.
Durant la conquête musulmane, ils recouvrent leurs richesses, leur
puissance, leurs charges. Ils ont à Tolède, à Cordoue, à Barcelone, des écoles
et des universités.
A mesure que l’Espagne chrétienne se ressaisit et refoule le croissant,
les juifs, toujours actifs, s’insinuent dans tous les rouages de la société.
Ils sont, en très grand nombre, économes, administrateurs, trésoriers ;
ils sont pharmaciens, médecins, ils entrent ainsi dans les secrets des
familles. Ils se rendent maîtres des finances dans la catholique Espagne :
par ces moyens, ils détiennent le pouvoir et se font octroyer des privilèges.
« C’est pour cela, dit Héfelé, que dès le XVIe siècle, les Cortès
et les conciles insistèrent sur la nécessité de restreindre les privilèges des
Juifs, et plusieurs émeutes populaires mirent au jour les dispositions du
peuple espagnol à l’égard de ces dangereux étrangers » (Histoire du
Cardinal Ximénès).
A la suite des édits de Castille, le nombre des faux convertis du
judaïsme s’accroît. De nouvelles conspirations mettent en péril la foi et la
patrie. En 1473 ; les maranos tentent de se faire livrer à prix d’argent
la forteresse de Gibraltar. « Vers la fin du XVe siècle, écrit Joseph de
Maistre dans ses Lettres sur l’Inquisition espagnole, le judaïsme avait jeté de
si profondes racines en Espagne qu’il menaçait de suffoquer entièrement la
plante nationale. Le mahométisme augmentait prodigieusement le danger… il s’agissait
de savoir s’il y aurait encore une nation espagnole ; si le judaïsme et l’islamisme
et la barbarie remporteraient encore cette épouvantable victoire sur le genre
humain. »
Commes les Juifs et les maranos, les faux convertis de l’Islam parvenaient
aux plus hautes situations, aspiraient à gouverner l’Espagne, et la
trahissaient. Ils furent complices des maranos dans la tentative sur Gibraltar.
Leur audace alla jusqu’à insulter publiquement la religion chrétienne à
Cordoue. Le peuple exaspéré se souleva contre eux plusieurs fois.
De Maistre range parmi les axiomes politiques les plus incontestables
celui-ci : Jamais, dit-il, les grands maux politiques, jamais surtout les
attaques violentes portées contre le corps de l’Etat ne peuvent être prévenues
ou repoussées que par des moyens pareillement violents. Dans tous les dangers
imaginables, tout se réduit à la formule romaine : Que les consuls
veillent à la sûreté de l’Etat. Quant aux moyens, le meilleur (tout crime
excepté) est celui qui réussit. Si vous pensez aux sévérités de Torquemada,
sans songer à tout ce qu’elles prévinrent, vous cessez de raisonner. »
Voilà pourquoi, en 1480, à la demande d’Isabelle de Castille et du roi
Ferdinand, la nouvelle Inquisition fut instituée. Les Cortès de 1812 l’ont
supprimée, mais toutes libérales et sectaires qu’elles fussent, à la
différences des anciennes, elles ont dû reconnaître à leur tour que l’Inquisition
d’Espagne avait eu sa raison d’être. On dit dans leur rapport officiel :
« Les richesses des judaïsants, leur influence, leurs alliances avec les
familles les plus illustres de la monarchie, les rendaient infiniment
redoutables : c’était véritablement une nation renfermée dans une
autre. »
Sans l’Inquisition, le peuple espagnol, exaspéré par les vexations, par
l’arrogance, par la perfidie, par les trahisons des faux convertis du judaïsme
et de l’Islam, se serait livré, comme autrefois, à des représailles qui eussent
dépassé la mesure de la légitime défense.
L’Inquisition assurait la justice et la tempérait de miséricorde. Il
valait mieux pour les coupables être amenés à son tribunal que livrés à un
peuple irrité. En outre, les innocents n’étaient pas confondus avec les
criminels.
L’Inquisition d’Espagne ne sévissait pas contre tous les faux convertis
du judaïsme et de l’Islam, mais seulement contre ceux qui s’efforçaient de
pervertir la foi et troublaient l’ordre public. Plus tard, quand les prédicants
de la prétendue Réforme voulurent implanter l’hérésie en Espagne, l’Inquisition
s’y opposa. Elle préserva ainsi ce pays de la guerre civile.
Voltaire a peint l’Inquisition espagnole de la manière la plus
sombre : c’est la haine de l’Eglise qui conduit sa plume. « C’est
pourtant, dit de Maistre, une véritable apologie de l’Inquisition qu’il fait
malgré lui dans les lignes suivantes :
« Il n’y eut, dit-il, en Espagne, pendant le XVIe et le XVIIe
siècle, aucune de ces révolutions sanglantes, de ces conspirations, aucun de
ces châtiments cruels qu’on voyait dans les autres cours de l’Europe. Ni le duc
de Lerme, ni le comte Olivarès ne répandirent le sang de leurs ennemis sur les
échafauds. Les rois n’y furent point assassinés comme en France et n’y périrent
point par la main du bourreau comme en Angleterre. Enfin, sans les horreurs de
l’Inquisition, on n’aurait rien eu alors à reprocher à l’Espagne. »
De Maistre, après cette citation de Voltaire, ajoute fort à
propos : « Je ne sais si l’on peut être plus aveugle. Sans les
horreurs de l’Inquisition, on n’aurait rien à reprocher à cette nation qui n’a
échappé que par l’Inquisition aux horreurs qui ont déshonoré toutes les
autres ! C’est une véritable jouissance pour moi de voir ainsi le génie
châtié, condamné à descendre jusqu’à l’absurdité, jusqu’à la niaiserie, pour le
punir de s’être prostitué à l’erreur. »
Instituée pour la défense de la religion et de la patrie, l’Inquisition
a sauvé la foi de l’Espagne ; elle a épargné à la nation le fléau des
guerres civiles, et elle a empêché sa ruine complète.
Loin d’être impopulaire, la nouvelle Inquisition répondait trop
intimement aux justes exigences de la foi pratique de la nation espagnole et de
son patriotisme pour ne lui être pas doublement chère. C’est ce qu’atteste l’histoire
authentique de l’Espagne.
L’Inquisition établie en Espagne au XVe siècle fut-elle d’institution
ecclésiastique ? Ne fut-elle pas plutôt une création des rois, un
instrument de règne, d’ordre politique par nature ? Cette dernière opinion
est adoptée par Joseph de Maistre :
« On croit, dit-il, que l’Inquisition est un tribunal purement
ecclésiastique : cela est faux… Le tribunal de l’Inquisition est purement
royal ; c’est le roi qui désigne l’inquisiteur général ; et celui-ci
nomme à son tour les inquisiteurs particuliers avec l’agrément du roi. Le règlement
constitutif de ce tribunal fut publié, en l’année 1484, par Torquemada, de
concert avec le roi. » Le docteur Héfelé, dans sa vie du Cardinal Ximenès,
a partagé ce sentiment.
Le P. Prat et l’abbé Jules Morel ont soutenu, au contraire, que l’Inquisition
d’Espagne fut ecclésiastique d’abord, mais non pas uniquement, son tribunal
était mixte, comme la matière des procès soumis à sa juridiction.
Telle est la vérité. Ni Joseph de Maistre, ni Héfelé n’ont connu les
documents décisifs cités par l’abbé Morel dans ses Lettres à M. Louis Veuillot
sur l’Inquisition moderne d’Espagne (De Maistre, dit l’abbé Morel,
« écrivait à Moscou, loin de toute bibliothèque catholique. » Il
était « privé de ressources historiques et induit en erreur par des
documents altérés. » Néanmoins dans ses Lettres sur l’Inquisition
espagnole, il justifie cette institution si calomniée). Divers auteurs, à la
suite d’Héfelé, se sont proposé uniquement de venger l’Eglise des reproches qu’on
lui adresse à propos des excès attribués à l’Inquisition espagnole. L’intention
est louable ; mais s’il est prouvé d’ailleurs que l’Inquisition d’Espagne
fut principalement ecclésiastique, il faudra chercher une autre explication des
abus qu’on allègue. Car l’Eglise n’a pas besoin, pour se justifier, de s’appuyer
sur des mensonges. Sans doute, ce sont les souverains de Castille qui s’adressent
à Rome pour solliciter l’institution nouvelle, mais c’est la bulle de Sixte IV,
du 1er novembre 1478, qui lui donne naissance. C’est le roi qui désigne le
grand inquisiteur, mais c’est le Souverain Pontife qui, en vertu de son
autorité apostolique, lui confère son pouvoir. Ce n’est pas là une
innovation : il en était ainsi dans l’ancienne Inquisition ecclésiastique.
Le grand inquisiteur d’Espagne, tenant ses pouvoirs du Saint- Siège, nomme
directement les inquisiteurs des tribunaux particuliers. Dans tous les
documents officiels, les inquisiteurs se déclarent ou sont déclarés exercer
leurs fonctions comme « préposés et délégués par l’autorité
apostolique. » Jamais ils ne se présentent et nulle part ils n’agissent
comme inquisiteurs au nom du roi et pour son service, mais toujours et partout
pour le service de Dieu et de la Sainte Eglise romaine. Ce sont des ministres
de l’Eglise, non des employés de l’Etat. Ils ne reçoivent pas leurs
instructions du roi : celui-ci ne peut ni les congédier, ni les suspendre.
Les nombreux textes cités par l’abbé Morel ne laissent subsister aucun doute et
prouvent jusqu’à l’évidence que la nouvelle Inquisition relevait de la sainte
Eglise romaine.
Quand le nonce ordonna d’en rédiger les statuts, le grand inquisiteur
rassembla à Séville les plus savants prélats et les principaux docteurs de l’Eglise
d’Espagne. Ils rédigèrent le Code pénal et la procédure criminelle de la
nouvelle Inquisition. Le nonce expédia lui-même à Rome toutes ces pièces pour
recevoir l’approbation du pape ; ce n’était donc pas l’autorité royale,
mais la confirmation apostolique qui leur conférait leur valeur. Le roi avait
envoyé ses jurisconsultes à l’assemblée de Séville parce qu’il était le bras
séculier ; il édictait les peines temporelles en cette matière
mixte ; il octroyait aussi des privilèges aux inquisiteurs, mais, comme l’observe
l’abbé Morel, « il serait aussi injuste d’en conclure qu’il avait réglé de
son chef les lois de la nouvelle Inquisition, que de prétendre que l’Etat juge
du sacrement et du contrat de mariage parce qu’il en règle les effets
civils. »
Enfin, au cours de l’histoire de l’Inquisition d’Espagne, les papes
changent, amendent les statuts « par des bulles, brefs, rescrits
successifs. Elle est donc et demeure sous leur juridiction ».
Dès le début les rois d’Espagne la reconnaissent ; jamais dans la
suite, ils ne la contestent. En quelques circonstances ils tentent d’entraver
le fonctionnement du tribunal, et ils échouent. Ainsi, pendant dix ans
(1536-1545), l’Inquisition perd entièrement la faveur de Charles-Quint et par
conséquent tous les privilèges qu’elle a reçus des rois : or, durant cette
période, elle est en pleine activité, elle exerce toute sa puissance.
On le voit, il est faux de dire avec Joseph de Maistre que la nouvelle
Inquisition fut un tribunal purement royal, ou, avec Héfelé, qu’elle fut
« l’instrument docile du pouvoir absolu.» Jamais il n’en fut ainsi.
On objecterait en vain, à la suite d’Héfelé, que le roi nommait trois
jurisconsultes qui faisaient partie du Conseil suprême de l’Inquisition d’Espagne.
Ce grand conseil comprenait: 1° l’inquisiteur général qui le présidait ;
2° deux assesseurs choisis par lui ; 3° les inquisiteurs nommés par le
motu proprio dans les quatre premiers tribunaux ; 4° trois membres nommés
par le roi. Le grand inquisiteur les avait admis au conseil suprême comme
consulteurs en vertu des pouvoirs que lui-même tenait du Souverain Pontife :
ils n’avaient voix délibérative que dans les questions de droit civil :
dans celles du for ecclésiastique ils avaient seulement voix consultative
(Héfelé a extrait du récit « frelaté », de M. de Saint-Priest, un
fait complètement travesti que Louis Veuillot lui emprunta ensuite. En 1759,
Pombal, ministre franc-maçon du Portugal, aurait fait condamner à mort le Père
Malagrida, jésuite, par un tribunal d’inquisition, semblable à celui qui
fonctionnait en Espagne. Héfelé accorde trop de crédit à M. de Saint-Priest, que
Deschamps appelle le panégyrique de Pombal, l’apologiste du bourreau et l’ennemi
des victimes. La vérité, rétablie par Crétineau-Joly, est que l’inquisition
refusa de se prêter aux caprices du ministre sectaire. Alors Pombal composa
lui-même un tribunal, une « inquisition de contrebande » et il mit à
sa tête son propre frère, Paul Carvalho-Mendoza, ennemi acharné des Jésuites.
Ceux-ci étaient jugés d’avance. (Histoire de la Compagnie de Jésus, tom. V)
Vers la même époque, quand Charles III fit expulser les Jésuites d’Espagne, l’Inquisition
prit contre le roi la défense des persécutés ; elle mit en jugement, comme
suspects dans la foi, les conseillers qui montraient une complaisance
criminelle envers le monarque. Alors Charles III envoya les inquisiteurs en
exil et se débarrassa ainsi d’un tribunal réfractaire à sa politique).
C’est surtout à l’histoire de l’Inquisition d’Espagne que l’on peut
appliquer la parole de Joseph de Maistre : elle est une conspiration
contre la vérité. Un concert de mensonges qui trouve des échos partout a trompé
ceux-là mêmes qui ont pris la défense de cette institution très
salutaire ; ils n’ont pas su dire tout ce qui convenait en sa faveur. Il
importe avant tout, pour la juger, de savoir comment l’ont appréciée les
Pontifes romains du XVIe siècle.
Fondée vers 1480, elle avait donné ses premiers résultats sous Adrien VI
(1522-1523), sous Paul IV (1555-1559). Elle fonctionnait depuis un siècle
environ sous saint Pie V (1566-1572) et sous Sixte-Quint (1585-1590). Cette
période, qui va de la fondation de la nouvelle Inquisition à la fin du XVIe
siècle, comprend Torquemada et le règne de Philippe II. C’est l’époque la plus
sombre de l’Inquisition, au dire des libre-penseurs ; jamais, selon Héfelé
que nous avons réfuté sur ce point, elle ne fut plus politique, plus royale.
Adrien VI (1522-1523) connaissait parfaitement l’Espagne et son
Inquisition. Il avait été précepteur de Charles-Quint, puis gouverneur du
royaume en son absence. Ximénès, troisième grand inquisiteur, l’avait nommé
inquisiteur d’Aragon : il le devint de toute l’Espagne. Arrivé jadis en
Castille avec des préjugés contre le nouveau tribunal, il le vit fonctionner,
comprit, par sa propre expérience, la sagesse d’une telle institution, et
empêcha le jeune Charles-Quint de lui créer des difficultés. Il avait tellement
déposé ses anciens préjugés, quand il fut élevé au Souverain Pontificat, que,
pour rendre à l’Inquisition d’Espagne un hommage éclatant, il voulut conserver
son titre de Grand inquisiteur du royaume d’Espagne pendant les deux années de
son Pontificat, c’est-à-dire jusqu’à sa mort.
Paul IV (1555-1559), doué d’une profonde intelligence, était animé d’un
zèle ardent. Il avait entendu reprocher à l’Inquisition d’Espagne la sévérité
de ses lois et l’étendue de ses privilèges, mais il savait à quoi s’en tenir au
sujet de ces plaintes intéressées. Jusque là, aux termes du code de l’Inquisition
espagnole, les seuls hérétiques relaps étaient livrés au bras séculier. Or,
Paul IV voyait les nouveaux périls que la prétendue Réforme suscitait à la foi
des peuples par sa propagande acharnée. Il exigea donc que l’Inquisition se
montrât plus sévère : il lui ordonna de livrer au bras séculier les
hérétiques dogmatisants même non relaps. Quant aux privilèges de l’Inquisition,
que certains trouvaient excessifs, Paul IV les étendit encore, et lui en
conféra un vraiment inouï. Rome s’était toujours réservé le jugement des
évêques. Par la bulle de 1559, Paul IV soumit au jugement de l’Inquisition d’Espagne
même les évêques, les archevêques, les patriarches, les cardinaux, dont la foi
serait suspecte. L’Inquisition pouvait-elle recevoir du Saint-Siège un
témoignage d’estime et de confiance supérieur à celui-là ?
Pie V (1566-1572) est le seul pape postérieur au moyen âge que l’Eglise
ait canonisé. Ses actes en faveur de l’Inquisition d’Espagne étant ceux d’un
saint, ont donc une double valeur. Le Frère Ghisleri, le futur Pie V, avait été
inquisiteur dans le duché de Milan qui relevait de la Maison d’Espagne, mais
dont l’Inquisition ne dépendait pas de l’Inquisition espagnole. Rome l’avait
confiée aux Dominicains, et elle avait rendu déjà de grands services. Cependant
Pie V la jugeait insuffisante contre les progrès de l’hérésie : il s’adressa
au roi Philippe II pour le prier d’accorder au duché de Milan l’Inquisition
espagnole. De tels faits parlent d’eux-mêmes. L’opposition ne vint pas du roi,
mais d’ailleurs. Philippe II, que la pressentait, en avertit le pape. Pie V
répondit : « Essayez, et, comme cette fois vous n’aurez rien
entrepris que de l’avis et du consentement du Saint-Siège, le Saint- Siège vous
soutiendra. » Le projet ne put aboutir, mais il nous suffit de connaître
la pensée de Pie V.
Il fit une démarche semblable près de la République de Venise, qui avait
l’Inquisition romaine : il écrivit au Sénat vénitien pour lui proposer l’adoption
de l’Inquisition espagnole. Mais le Sénat se divisa. Pie V insista. Le Sénat se
contenta de renforcer son Code inquisitorial, et nomma grand inquisiteur le
cardinal Montalte, le futur Sixte-Quint. Enfin, quand Pie V confia à don Juan d’Autriche
le commandement de la flotte qui allait livrer la grande bataille de Lépante,
il voulut établir une Inquisition de mer sur les vaisseaux pour sévir contre le
blasphème et contre l’hérésie, et il voulut l’Inquisition d’Espagne. Le grand
inquisiteur, qui était le cardinal Diégo d’Espinosa, fut chargé, par un bref du
pape Pie V, d’organiser ce tribunal.
M. de Falloux a complètement omis ces faits dans son Histoire de saint
Pie V. Elle n’est, dit l’abbé Morel, que « le profil de son héros. »
Le cardinal de Montalte avait été envoyé en Espagne par Pie V pour
traiter une affaire relative à l’Inquisition espagnole. Il en connaissait par
lui-même le fonctionnement. Il devint pape et fut le grand Sixte-Quint. C’est
lui qui organisa définitivement les congrégations romaines. Il donna la
première place au Saint-Office de l’Inquisition (Congregatio prima pro Sancta
Inquisitione). La Préfecture en était réservée au Souverain Pontife en
personne, à cause de la gravité des affaires qui lui étaient soumises (Cui ob
summam rei gravitatem summus pontifex præsidere Solet). La Sainte Inquisition
romaine reçut une juridiction universelle dont Sixte-Quint voulut néanmoins
excepter la seule Inquisition d’Espagne. « Dans tout ce que dessus, dit-il
notre intention est qu’il ne soit rien changé, sans l’aveu de nous ou de nos
successeurs, dans l’Office de la Sainte-Inquisition telle qu’elle a été
instituée autrefois par l’autorité du Siège apostolique dans les royaumes et
domaines des Espagnes, à cause de la fertilité de ses fruits, tels que nous les
voyons mûrir de jour en jour dans le champ du Seigneur. »
Ainsi, un siècle après l’institution de l’Inquisition d’Espagne,
Sixte-Quint, très au courant de son fonctionnement : 1°déclare qu’elle a
été féconde en fruits de salut ; 2° qu’elle doit demeurer telle qu’elle a
été instituée autrefois par l’autorité apostolique ; 3° la soustrait, elle
seule, à la juridiction universelle de l’Inquisition romaine. Pouvait-il, en sa
faveur, dire mieux et faire davantage ?
Contre ces divers témoignages des Papes on invoquera peut-être le Bref
du 29 janvier 1482, dans lequel Sixte IV, d’après Héfelé, regretta la bulle d’institution
et la déclara subreptice. La vérité est que Sixte IV fut d’abord ému par les
plaintes de ceux qui avaient pu échapper aux anciennes formes de procédure,
mais se trouvaient atteints par l’Inquisition nouvelle. Ils appelaient le pape
à leur secours. Sixte IV répondit par le bref de 1482 : il demandait que
provisoirement on s’en tînt au droit commun, mais il ne déclarait pas
subreptice la bulle d’institution, autrement elle eût été nulle de plein droit.
Il ne révoquait ni la bulle, ni les nouveaux inquisiteurs. Il commanda une
enquête : elle donna raison aux inquisiteurs contre des réclamations
abusives. Par un Bref du 17 octobre 1483 le pape Sixte IV déjoua ces
manoeuvres, qui avaient pour objet de soustraire les coupables à la justice. Il
nomma Thomas de Torquemada inquisiteur général avec des pouvoirs législatifs et
judiciaires plus étendus que ceux qui résultaient de la bulle de 1478. Celle-ci
se trouva donc confirmée, et au-delà, en pleine connaissance de cause.
Sans doute, plus tard, Léon X (1513-1521) se montre ému à son tour des
réclamations qui arrivent d’Espagne, et indisposé contre l’Inquisition. Mais
lorsque les informations sont prises, les Pontifes romains se rassurent.
« A mesure, dit l’abbé Morel, que l’intégrité de l’Inquisition d’Espagne
fut mieux constatée, que l’on vit à sa tête et dans ses rangs les cardinaux les
plus illustres par leur sainteté et leur science, les hommes les plus autorisés
du clergé séculier et la fleur des couvents de Castille et d’Aragon, la cour de
Rome se rassura, elle n’admit plus de recours direct au Saint-Siège que dans
les circonstances rares et éminentes, comme dans le procès de l’archevêque de
Tolède. Saint Pie V refusa d’entendre un gentilhomme de l’île de Sardaigne qui
mettait en avant sa qualité d’Italien, et il le renvoya devant l’Inquisition d’Espagne.»
IV. Coup d’oeil sur la procédure. – La prison et la torture. –
Auto-da-fé. – Le feu. Excès reprochés à l’Inquisition espagnole.
L’Inquisition d’Espagne donnait, comme on l’a vu, les meilleures
garanties possibles au point de vue de l’intégrité des juges et de l’équité de
leurs sentences. La justice elle-même était tempérée de miséricorde.
Avant d’entrer en fonctions, le tribunal fixait un délai pendant lequel
les coupables pouvaient toujours « se présenter librement aux inquisiteurs
et être absous en secret de leur crime » et des peines qu’il entraînait (L’abbé
Wagner, Conférence sur l’inquisition.).
On ne pouvait être arrêté que pour des fautes graves et sur des preuves
sérieuses.
« On se représente ordinairement l’Inquisition, dit Héfelé, comme
un monstre insatiable, toujours aux aguets, et dont les bras innombrables
saisissaient au moindre soupçon ses victimes. Mais ces peintures, bonnes pour
les romans historiques et pour les histoires romanesques, où elles produisent
un effet merveilleux (c’est le cas), sont dénuées de toute vérité…
On peut affirmer sans témérité qu’aucun tribunal, à cette époque, n’était
tenu à autant de précautions, quand il s’agissait de faire arrêter quelqu’un. »
Héfelé montre bien, d’après Llorente lui-même, que la simple dénonciation était
loin de suffire. Il cite à l’appui le statut suivant de Torquemada :
« Personne ne peut être mis en prison, à moins que son crime n’ait été
constaté d’une manière évidente. »
Les prisons de l’Inquisition étaient dans de bonnes conditions d’hygiène
et de salubrité. « A une époque, dit Héfelé, où, dans toute l’Europe, les
prisons étaient des réduits sombres et dépourvus d’air…, l’Inquisition faisait
mettre ses prisonniers dans des pièces bien voûtées, claires et bien sèches,
dans lesquelles on pouvait se donner du mouvement. »
Jamais on n’y mettait de chaînes aux prisonniers. La nourriture y était
suffisante et bonne. Les prisons étaient souvent inspectées.
Quant à la torture, que les adversaires de l’Inquisition lui reprochent
toujours amèrement, il faut répéter ce que nous avons dit à propos de l’Inquisition
ecclésiastique.
Si les ennemis de ce tribunal sont de bonne foi, pourquoi ne font-ils
pas le même reproche à tous les tribunaux de cette époque ? L’Inquisition
appliquait la torture avec une mesure et une indulgence inconnue devant les
tribunaux civils.
Dans un même procès, elle ne pouvait être employée qu’une foi, en
présence d’un médecin et des inquisiteurs. Le rapport du comité des Cortès, dit
de Maistre, ajoute que l’évêque même y était appelé.
D’ailleurs, dès 1537, « il fut défendu de l’employer contre les
morisques, et, dans la suite, son usage se perdit de plus en plus. »
Llorente est forcé de l’avouer.
La citation suivant de de Maistre est digne d’attention : « Je
dois ajouter qu’ayant eu l’occasion, au mois de janvier 1808, d’entretenir, sur
le sujet de l’Inquisition, deux Espagnols d’un rang distingué, et placés tout
exprès pour être parfaitement instruits ; lorsque je vins à parler de la
torture, ils se regardèrent l’un l’autre avec l’air de la surprise, et s’accordèrent
pour m’assurer expressément que jamais ils n’avaient entendu parler de la
torture dans les procédures faites par l’Inquisition. »
Enfin, l’Inquisition espagnole ne cherchait pas seulement, pour les
réprimer, les crimes publics d’apostasie ou d’hérésie, mais aussi beaucoup de
crimes punis par toutes les législations comme gravement dangereux pour la morale
publique : par exemple, la bigamie, l’usure, la sorcellerie, et certaines
pratiques abominables.
Quant aux condamnations capitales, une fois la culpabilité dûment
établie, elles n’étaient pas prononcées par les inquisiteurs ecclésiastiques,
mais par les assesseurs séculiers. Les auto-da-fé. – Ce mot veut dire acte de
foi. L’ignorance, le préjugé, la passion, n’ont su qu’inventer pour faire voir,
sous ce nom, des bûchers en permanence, ruisselants de sang humain. De Maistre,
dans sa troisième lettre, cite les paroles d’un membre de l’Eglise anglicane
qui avait visité l’Espagne vers 1786. Ce clergyman raconte ses impressions. Il
vit un édifice « que son imagination lui représentait « comme entouré
de flammes sanglantes. » Il apprend ensuite qu’une femme coupable de
crimes énormes a été brûlée dans ce quemadero quatre années auparavant. De
Maistre fait ressortir les grotesques contradictions qui pullulent dans ce
récit. « Voilà, dit-il, les sornettes dont se repaissait l’Europe. »
L’Europe se repaît encore de pareilles sornettes à propos de l’auto-da-fé.
C’était tout simplement la cérémonie de la réconciliation des coupables
repentants – ; car ce terrible tribunal admettait le repentir, à l’exemple
de tous les tribunaux d’Inquisition, mais à la différence des tribunaux civils,
qui ne l’admettent nulle part. Une pénitence légère relativement au crime était
imposée. Le pénitent était réconcilié ou absous en public. Il était alors
revêtu du sanbenito ou habit de pénitence. A cette époque les condamnés portaient,
devant les tribunaux, un costume spécial. Durant l’auto-da-fé, les criminels
obstinés étaient excommuniés, mais on n’y brûlait personne. « Ne brûlaient
là, dit l’abbé Wagner, que les cierges portés par les pénitents. »
La peine du feu était appliquée par le bras séculier à certains
coupables impénitents, après la sentence du tribunal de l’Inquisition. Cette
peine ne fut pas une invention des inquisiteurs d’Espagne, ni des assesseurs
séculiers qui l’infligeaient.
De temps immémorial cette peine existait dans tous les pays pour punir
certains crimes.
Llorente, dans son Histoire critique de l’Inquisition espagnole, donne
une statistique effrayante des victimes de l’Inquisition, selon le cliché en
usage. Il compte ainsi : « Condamnés, brûlés en personne : 31
912. – Condamnés, brûlés en effigie : 17 659. – Graciés avec des peines
sévères : 291 450. – Total : 341 021. »
Llorente, prêtre apostat, a dénaturé les faits. Après avoir écrit sa
prétendue Histoire, il a brûlé les archives pour rendre impossible tout
contrôle. Ses calculs sont tellement surfaits que des protestants mêmes n’y
croient pas. Petchel dit que les comptes de Llorente sont un « frivole
calcul de probabilités.» Prescott, dans son Histoire de Philippe II,
écrit : « On doit se méfier des indications de Llorente, car il a, en
d’autres circonstances, admis avec légèreté les estimations les plus
invraisemblables. »
Gams ne prend pas non plus Llorente au sérieux. Exemple : Llorente
dit que Torquemada brûla 2 000 hérétiques à Séville seulement dans la seule
année 1481. Or, Torquemada n’est devenu inquisiteur qu’en 1483. Llorente
prétend citer Mariana. Or, celui-ci dit que 2 000 exécutions eurent lieu
pendant toute la durée des fonctions de Torquemada, c’est-à-dire pendant quinze
années, et dans diverses villes d’Espagne où existait l’Inquisition. En outre,
Gams a contrôlé les chiffres de Llorente : or, au lieu de 31 912 personnes
brûlées, il compte 4 000 condamnés à mort pour 330 ans d’existence de l’Inquisition
espagnole, soit une moyenne de 12 exécutions par an dans tout le royaume.
Rappelons que beaucoup de crimes punis de mort surtout à cette époque,
par toutes les législations, rentrent dans ce chiffre.
Llorente a donné des calculs fantastiques, mais aujourd’hui la palme
revient sans conteste, sous ce rapport, à « l’honorable M.
Trouillot ».
Nous pourrons apprécier, mieux qu’au début de notre étude, ces paroles
retentissantes, lancées comme la foudre, de la tribune de la Chambre, et
reproduites par toute la presse : « Est-ce un rêve que l’oeuvre, en
Espagne, de cet Ordre effrayant qui, de 1475 à 1800, a brûlé, pour crime d’hérésie,
une moyenne, calculée par Llorente, de 1 100 êtres humains par an, 365 000
victimes ? »
Trois cent soixante-cinq mille victimes !
Voilà le chiffre donné, à la Chambre, par le rapporteur de la loi contre
les Congrégations !
Comme Llorente a invoqué le témoignage de Mariana, M. Trouillot invoque
celui de Llorente, mais il a plus d’aplomb.
Il demande : « Est-ce un rêve ? » Voilà un effet
oratoire qui doit, dans la pensée de M. Trouillot, fortifier la conviction de
ses auditeurs. Il n’entend pas qu’on ait le moindre doute. Et, précisément, C’EST
UN RÊVE !
Notons bien que la seule hérésie, d’après « l’honorable
rapporteur », a fait condamner tant d’innocentes victimes, fait allumer
tant de bûchers par cet « Ordre effrayant. » C’est faux, on l’a vu.
Mettons en regard les chiffres donnés par M. Trouillot, pr Llorente, et
celui qu’admettent des historiens catholiques et protestants, chiffres plutôt
supérieurs qu’inférieurs à la réalité : M. Trouillot : 365 000
Llorente : 31 912 Chiffre rectifié : 4 000 Ainsi le bras séculier
aurait exécuté, après le jugement de l’Inquisition, 4 000 criminels – au plus –
en 330 années. Or, en quelques années, la Révolution a fait périr plusieurs
centaines de milliers de victimes, innocentes pour la plupart. La Société
Bibliographique a publié, en 1880, une brochure intitulée Quinze ans de
révolution. Nous lui empruntons les lignes suivantes : « Il faudrait
bien des volumes pour énumérer les crimes de cette épouvantable époque (de la
Révolution). Un républicain, le citoyen Prudhomme, a eu le triste courage de
faire cette histoire, et il classe ainsi les victimes de la révolution :
« Ci-devant nobles: 1 278 Femmes nobles : 750 Femmes de laboureurs et
d’artisans : 1 467 Religieuses : 350 Prêtres : 1 135 Hommes non
nobles de divers états : 13 663 Total des guillotinés : 18 613 Femmes
mortes de frayeur ou par suite de couches prématurées : 3 748 Femmes tuées
dans la Vendée : 15 000 Enfants tués dans la Vendée : 22 000 Morts
dans la Vendée : 300 000 Victimes à Lyon : 31 000 Victimes de Carrier
à Nantes : 32 000 Parmi lesquels il compte : Enfants fusillés :
500 Enfants noyés : 1 500 Femmes fusillées : 264 Femmes noyées :
500 Prêtres fusillés ou noyés : 700 Nobles noyés : 1 400 Artisans
noyés : 5 300 « Dans ce nombre de victimes ne sont pas compris les
massacres à Versailles, aux Carmes, à l’Abbaye, à la Glacière d’Avignon, les
fusillés de Marseille et de Toulon, après les sièges de ces deux villes, les
égorgés de la ville provençale de Bedoin, dont la population périt tout entière
parce que l’arbre de la liberté y avait été abattu. « Marat au début de la
Convention, avait demandé 300 000 têtes ; la Convention avait accompli son
voeu ». La Révolution est responsable aussi des millions de victimes des
guerres faites par la Convention, par le Directoire, par le premier Empire, si
bien nommé par Deschamps « la Révolution à cheval ».
Dans la IVe lettre sur l’Inquisition espagnole, de Maistre en appelle,
contre les ennemis de l’Inquisition, à l’expérience et à l’histoire. Il énumère
les crimes innombrables et la série des massacres qui ont ensanglanté, au XVIe
et au XVIIe siècle, toute l’Angleterre et l’Irlande, l’Allemagne entière, la
France, la Flandre, et tant d’autres pays. De Maistre fait répondre en ces
termes par un gentilhomme espagnol aux calomnies des adversaires de l’Inquisition :
« Vous êtes myope, vous ne voyez que d’un point : nos législateurs
regardaient d’en haut et voyaient l’ensemble. Au commencement du XVIe siècle,
ils virent, pour ainsi dire, fumer l’Europe ; pour se soustraire à l’incendie
général, ils employèrent l’Inquisition… Un vaisseau flotterait sur le sang que
vos novateurs ont fait répandre… C’est bien à vous, ignorants présomptueux, qui
n’avez rien prévu et qui avez baigné l’Europe dans le sang, c’est bien à vous
qu’il appartient de blâmer nos rois… c’est l’Inquisition qui a sauvé l’Espagne. »
De Maistre cite, dans la même lettre, une brochure anonyme parue en
1797, à Christiapople. « Le Saint-Office, y est-il dit, avec une
soixantaine de procès dans un siècle, nous aurait épargné le spectacle d’un
monceau de cadavres qui surpasserait la hauteur des Alpes et arrêterait le
cours du Rhin. » L’histoire vraie de l’Espagne et du monde justifie les
observations de Joseph de Maistre. Que dirait-il, juste ciel ! s’il vivait
de nos jours ! Si tous les morts de la guerre mondiale étaient rassemblés,
quelle serait la hauteur d’une telle montagne de cadavres ? Or la
principale cause de cette guerre d’extermination, comme disait Sa Sainteté
Benoît XV, c’est la guerre faite à Dieu. Le Saint-Office eut empêché celle-ci,
et par conséquent celle-là, et aussi les horreurs qui, sous nos yeux, en sont
les suites.
C’est la reine Isabelle de Castille, pleine de sagesse et de douceur,
qui provoqua la fondation de l’Inquisition nouvelle d’Espagne. Dans son
testament elle la défendit comme « l’oeuvre capitale de son règne. »
Ximénès, en apprenant sa mort, fit d’elle cet éloge : « Jamais
le monde ne verra une reine d’une telle grandeur d’âme, d’une telle pureté de
coeur, d’une piété aussi fervente et d’une équité aussi scrupuleuse. »
Le cardinal Ximénès fut un grand homme d’Etat. Il fut aussi, dit Charles
de Sainte-Foi, « un évêque accompli, un pieux religieux. » Il écrivit
au jeune Charles-Quint une lettre pour le supplier de renoncer au dessein qu’il
avait formé de faire modifier la procédure de l’Inquisition. On y lisait ces
paroles remarquables : « Toutes les objections présentées par les
adversaires de l’Inquisition moderne ont été résolues sous les rois catholiques
de glorieuse mémoire, et l’on ne saurait toucher à la moindre de ses lois sans
blesser l’honneur de Dieu. »
Thomas de Torquemada, que la malice et l’ignorance ont transformé en
bourreau implacable, fut un religieux admirable par sa piété, par son humilité
profonde, par sa mortification. Il refusa obstinément l’archevêché de Séville
proposé par Isabelle, et n’accepta la charge de grand inquisiteur qu’à cause du
péril auquel cette fonction l’exposait.
Le nom de Philippe II rappelle l’Inquisition en pleine vigueur sous son
règne. Pour les libéraux, il est le démon de midi, le tartufe couronné. Mais,
dit l’abbé Morel, « si vous consultez les saints qui vivaient par
centaines sous son sceptre, Philippe II est le roi catholique par
excellence. » Sainte Thérèse, qui est estimée à l’égal d’un Docteur par l’Eglise
elle-même, le vénérait. A la fin de sa vie, pleine des lumières d’en haut et
mûrie par l’expérience, la grande sainte Thérèse l’appelait « notre saint
roi Philippe II. »
Enfin, comme l’ancienne Inquisition romaine avait eu ses martyrs, Pierre
de Vérone, en Italie, et Pierre de Castelnau, en France, la nouvelle Inquisition
d’Espagne eut le sien aussi, Pierre Arbuès d’Epila, nommé par Torquemada
inquisiteur à Saragosse. Béatifié par Alexandre VII, ce nouveau Pierre fut
canonisé sous Pie IX.
Telle fut, en vérité, l’Inquisition d’Espagne.
Dès les premiers siècles de l’Eglise, il y eut des sociétés secrètes qui
enseignèrent à leurs initiés les principes de l’anarchie. De là des troubles
profonds dans les empires.
Alors des souverains païens, aveugles quand ils persécutaient l’Eglise,
firent preuve de clairvoyance en sévissant contre les sectes manichéennes, dont
la doctrine secrète autorisait et encourageait la révolte contre l’autorité
civile et enseignait le communisme. Proscrites par les empereurs soit païens,
soit chrétiens, les sectes continuèrent leur propagande secrète et envahirent
peu à peu l’Europe occidentale sous des noms divers. La secte des Albigeois
devint, en France, au moyen âge, la plus influente, la plus pernicieuse.
C’est pour défendre la foi contre ces attaques perfides que fut établi,
dans la plupart des pays d’Europe, le tribunal de l’inquisiteur. Il était
légitime, il était nécessaire. Il a très efficacement servi la cause de la
religion, celle des souverains et des peuples : de tels services, méconnus
de nos jours, n’en furent pas moins réels.
Grâce à son Inquisition spéciale, qui réalisait pleinement les voeux de
saint Pie V, l’Espagne seule put s’opposer à toute pénétration des principes
délétères du protestantisme. Elle sauva ainsi son unité.
Aujourd’hui l’Espagne n’a plus d’Inquisition contre le Juif et l’hérétique,
corrupteurs, conspirateurs et semeurs d’anarchie. Elle a ses Loges maçonniques
et ses écoles modernes où, au nom des principes de 89, on enseigne à faire les
révolutions. Elle n’a plus Torquemada ; elle a ses Ferrer, et la secte,
qui a su les enfanter, sait aussi les glorifier et les proposer comme modèles
aux peuples des temps nouveaux.
Mais l’Espagne n’est pas seule en cause. Le pouvoir occulte qui
personnifie et dirige la contre-Eglise a substitué à l’ancien inquisiteur son
inquisition à lui.
Une association internationale de maîtres fourbes conspire partout
contre la religion et la société. Sa tête invisible a partout des yeux pour
surprendre ceux qui s’opposent à ses desseins, et des armes pour les perdre.
L’inquisition moderne est une pieuvre gigantesque qui absorbe et dévore
toutes les forces vives des nations, qu’elle enlace dans ses innombrables
tentacules. L’ancienne inquisition exerçait sa vigilance pour le salut des
âmes, pour la paix sociale, pour le règne de Dieu. Celle-ci opère
systématiquement contre les intérêts des âmes et des peuples, pour le règne de
la Bête humaine révoltée contre le Seigneur et contre son Christ. Douée de
cette sagesse que saint Thomas appelle diabolique, elle sait déchaîner les
fléaux, créer les misères et les exploiter, tout en accusant ses adversaires d’en
être les auteurs. Elle a l’esprit de Satan, son père et son prince. Le
bolcheviste est son chef-d’oeuvre et le féroce instrument de sa domination.
Elle propage, avec toutes les ruses et toutes les audaces, ses chaires de
pestilence dans le monde entier. De là, elle proclame partout les Droits de l’Homme
et la déchéance du Christ, roi des nations.
Une inquisition fonctionnant, dans chaque nation chrétienne, sous la
haute et sage vigilance du Pontife romain pour la défense de la foi et de la
patrie, eût rendu impossible l’établissement d’une inquisition impie et
anti-nationale, celle du pouvoir occulte juif ou Kahal. Elle eût épargné au
monde la plus impitoyable des tyrannies, celle de la haute banque juive, servie
par les loups du bolchevisme. Les peuples n’en seraient pas réduits à se
débattre, dans les pires convulsions, sous l’étreinte de la pieuvre, pour
échapper à la mort.
Il ne saurait être question de ressusciter l’ancienne Inquisition contre
l’hérésie et l’anarchie. Constater cette impossibilité, ce n’est pas avouer un
progrès quelconque, soit dans l’ordre moral et religieux, soit dans l’ordre
politique et social ; bien au contraire. Mais, s’il n’est pas possible,
sous le règne du Kahal, sous la domination de la Bête, de rétablir le tribunal
de l’inquisiteur, il faut pourtant avoir le courage de dire la vérité et de
réfuter la calomnie. De tous les tribunaux, c’est celui de l’Inquisition qui a
su donner les meilleures garanties de justice et d’équité. Il a fait plus que
ne peuvent les autres ; il a exercé la miséricorde. Des abus se sont
produits dans certains cas particuliers, parce qu’on a méconnu les intentions
de l’Eglise et enfreint les règles établies par les pontifes romains : ces
excès proviennent de la fragilité des hommes et de leurs fautes personnelles. L’Eglise
n’en est pas responsable.
Il convient de lui rendre justice et de manifester la sagesse de ses
institutions. Ce n’est pas une des moindres gloires de l’ordre de Saint
Dominique d’avoir reçu des Pontifes romains la mission très nécessaire et très
salutaire de combattre l’hérésie, ce cancer de la chrétienté.
L’ordre des Frères prêcheurs n’a pas à en rougir. Il est malséant de
plaider pour les circonstances atténuantes, comme s’il avait été en faute. Il a
coopéré à une oeuvre excellente devant Dieu et devant les hommes.
Conclusion générale
L’Inquisition a représenté un progrès. Elle a mis fin à la justice
expéditive en créant le jury, en remplaçant l’arbitraire d’un seul homme et
elle était très populaire !
L’arbitraire d’un seul homme remplacé par un jury, n’est-ce pas là une
idée très moderne ? Qu’apporte de plus, la procédure du XXIe siècle, à
part la présence d’un avocat, dès la garde à vue ? Car il faut savoir,
contrairement à une légende largement répandue, que la torture n’est pas du
tout la règle, et que les interrogatoires sont intelligemment menés, avec
beaucoup de psychologie...
Quant à la sévérité des peines, 1% à 2% des procès aboutissent à une
condamnation à mort... Ce n’est pas pour rien, que l’Inquisition a été très
largement soutenue par “l’opinion” de l’époque.
Ce n’est qu’à partir du XIXe Siècle, qu’on a commencé à critiquer, à
désinformer, par anti-christianisme primaire, sans-doute...
Comme le dit Jean Sévilla : “au Moyen-Age, l’adhésion remportée par
la répression de l’hérésie peut être comparée au consensus politique et moral
qui, de nos jours, condamne le nazisme”.