SAINT THOMAS D'AQUIN, DOCTEUR DE
L'ÉGLISE
OPUSCULE 54
(Œuvre probablement non
authentique)
Traduction Abbé Védrine, Editions Louis
Vivès, 1857
Édition numérique, http://docteurangelique.free.fr, 2004
Les œuvres complètes de
saint Thomas d'Aquin
Note de l'édition 1857: Saint Thomas d'Aquin
avait écrit sur les Universaux. A t-il composé un ou plusieurs Opuscules? C’est
ce que nous ne pouvons décider. Il ne serait pas étonnant en effet que, sur la
demande des étudiants, il en eût écrit un certain nombre sur cette matière,
puisqu’on en trouve plusieurs de lui sur le sujet du verbe.
L’opinion des philosophes est différente sur les universaux.
Quelques-uns, comme les Epicuriens, n’admettant pas qu’il n’y a de distinction
que suivant le sens, et disant que la volupté est le souverain bien,
affirmaient que ce qui se voit et se sent n’est rien, d’où ils disaient qu’il
n’y a rien d’universel. Ils enseignaient aussi que l’âme est une sorte de corps
subtil et périt avec le corps. Comme cette opinion est évidemment improbable et
contraire au bon sens et à toute raison, il n’est pas nécessaire de la réfuter;
aussi a-t-on appelé pourceaux les philosophes qui soutenaient une semblable opinion.
Néanmoins on pourrait ainsi raisonner contre eux: Tous les hommes désirent
naturellement savoir, comme l’enseigne Aristote, livre I de la Métaphysique;
mais un tel désir n’est pas faux, on peut donc acquérir la science; mais toute
science appartient aux universaux; donc il y a des universaux. La mineure se
prouve ainsi ce qui est infini ne peut être connu, autrement ce serait fini;
mais les singuliers sont infinis, donc il n’y a pas de science des singuliers,
et par conséquent il n’y en a que des universaux. D’autres admettant les
universaux, tombent dans de nombreux inconvénients, et ces philosophes ne
s’accordent pas, parce que quelques-uns ont prétendu que les universaux
existaient et subsistaient en dehors des singuliers et de l’intellect; tels furent
les Platoniciens qui avaient Platon pour chef. Ce philosophe voyant qu’il
s’opérait dans les choses une grande et continuelle transformation et
corruption, fut amené à dire que les universaux existaient par eux-mêmes et
étaient incorruptibles; il les appelait idées, lesquelles idées ils regardèrent
comme les causes exemplaires et effectives des singuliers, Aristote anéantit
cette opinion dans le livre VII de la Métaphysique. C’est pourquoi il
dit par dérision contre Platon, dans le livre Posteriorum, que les
genres et les espèces se réjouissent, ce sont des monstres. Etablissons donc
l’argument d’Avicenne contre lui. L’universel que nous avons en vue se dit de
tous les inférieurs dont chacun est lui-même. Or l’universel que Platon
supposait séparé, ne se dit pas de ses individus, et aucun d’eux n’est lui.
Donc, ou il ne faut pas admettre d’universel, ou il ne faut pas le dire séparé,
comme faisait Platon. En conséquence il s’en est trouvé d’autres qui ont
prétendu crue les universaux n’étaient que dans l’intellect, ce qui est
entièrement opposé à l’opinion de Platon, et ceux-ci ne s’accordent pas non
plus. Quelques-uns d’entre eux ont prétendu que les universaux nous étaient
innés et qu’ils étaient concrets, et que les universaux ne s’effectuaient pas
par l’épuration et l’abstraction de l’action intellectuelle, ils s’appuient sur
ce que dit Aristote dans le livre II de l’Âme, que nous concevons
lorsque nous voulons, ce qu’il n’eut pas dit si les universaux ne nous étaient
pas innés et se présentaient toujours actuellement à l’âme. Aristote est
entièrement opposé à ce qu’ils allèguent pour leur défense. Car il dit
formellement sur la fin du livre II Posteriorum, que l’universel venatur
sensus par le moyen de la mémoire et de l’expérience, et le Commentateur dit
à leur encontre dans le prologue de l’âme, que l’intellect actif produit
l’universalité dans les choses. Ce dont ils pré tendent s’étayer doit à coup
sûr être entendu dans ce sens, que Ans- lote a voulu dire qu’il y a en nous un
intellect actif par lequel tout se fait, et qui peut par conséquent quand il
veut s’emparer de fantômes, les illuminer et les rendre intelligibles en acte.
D’autres de leur côté ont prétendu que les formes intellectuelles passent de
l’intellect actif dans notre esprit. Ils affirmaient que l’intellect actif
n’est pas en nous, mais bien hors de nous, et ils disaient que c’était un Dieu
ou une intelligence. Aristote les réfute sur ces deux points dans le III° livre
de l’Âme. Il dit, en effet, que cet intellect est dans notre âme, il dit
aussi que c’est la lumière qui rend intelligibles en acte les fantômes
intelligibles en puissance, de même que la lumière rend visibles en acte les
couleurs visibles en puissance; c’est ainsi qu’il y a eu diverses erreurs sur
les universaux. Après tout c’est le sentiment d’Aristote qui est le vrai, à
savoir que l’universel se trouve dans la pluralité, qu’il est un en dehors de
la multitude; par ces mots on touche au double être de l’universel, l’un en
tant qu’il est dans les choses l’autre suivant qu’il est dans l’âme. Quant à
l’être de raison, il a la nature de prédicable; quant à l’autre être, c’est une
certaine nature, et il n’est pas universel en acte, mais bien en puissance,
parce que la puissance a la vertu de rendre une telle nature universelle par
l’action de l’intellect, et c’est pour cela que Boèce appelle universel ce que
l’on conçoit et singulier ce que l’on sent, parce que cette même nature qui
était singulière et qui est individuée par la matière dans chaque homme,
devient ensuite universelle par l’action de l’intellect qui les dégage des
conditions qui existent hic et nunc, ce qui fait qu’elle reçoit de
l’intellect lui-même le caractère d’universelle et de prédicable, ainsi que
nous l’avons dit. Et quoiqu’elle reçoive de l’âme elle-même le caractère
d’universelle, elle n’est pas néanmoins en elle suivant son essence, mais
suivant sa similitude et son espèce; c’est ce qui fait dire au Philosophe: « Ce
n’est pas la pierre qui est dans l’âme, mais l’espèce de la pierre » Or cette
similitude ou espèce existant dans l’âme est numériquement une et singulière.
Son universalité ne vient pas de ce qu’elle est dans l’âme, mais de ce qu’elle
est comparée à plusieurs singuliers estimés tels. Leur jugement sur elle est le
même, et il n’y a rien de déraisonnable en cela, parce que de même qu’une chose
peut être genre et espèce sous divers rapports, de même aussi cette chose peut
être universelle, particulière ou singulière pour des espèces diverses. Elle
est effectivement singulière dans l’intellect seul, et elle est universelle en
tant qu’elle a un caractère uniforme à l’égard de tous les individus qui Sont
hors de l’âme suivant qu’elle est également l’image de tous, amenant à leur
connaissance, comme on peut le voir dans un exemple. En effet, s’il y avait une
forme corporelle représentant plusieurs hommes, il est constant que cette
forme, ou figure, ou espèce de statue aurait un être singulier propre suivant
qu’il aurait l’être dans la matière; mais elle aurait le caractère de
communauté, en tant qu’elle serait commune par la représentation de plusieurs.
Quoique l’on ait dit que cette nature, qui est universelle, est numériquement
une, il n’est pourtant pas nécessaire qu’elle soit l’essence unique des espèces
diverses dont elle est le genre, car le genre procède de l’indétermination ou
indifférence, non pas néanmoins de telle sorte que ce qui est signifié par le
genre soit numériquement une même espèce dans toutes les différentes espèces, à
laquelle s’ajoutant une chose qui est la différence, la détermine, comme une
forme détermine la matière qui est une numériquement par la privation de toutes
les formes: mais comme le genre signifie les formes, non pas cependant d’une
manière déterminée telle ou telle que la doctrine exprime d’une manière
déterminée, laquelle n’est pas différente de celle qui était signifiée par le
genre d’une manière indéterminée. C’est pourquoi le Commentateur dit sur le i
livre de la Métaphysique, que la matière première est dite une par la privation
de toutes les formes; mais le genre est dit un par la communauté des formes
signifiées; aussi en ajoutant la différence, et écartant l’indétermination qui
était la cause de l’unité de genre, les espèces différentes par l’essence
subsistent et demeurent, et c’est ce que dit Avicenne dans sa Métaphysique: «
Il est impossible qu’une seule et même chose numériquement se dise de
plusieurs, de telle sorte que chacun soit elle-même. » Cependant Boèce
semble dire le contraire dans le Commentaire ou il dits que « l’universel
est commun de telle manière, que le tout est en même temps dans les di verses
choses dont il constitue naturellement l’essence, et comme il est universel en
espèce, il devient singulier par les doctrines qui sur viennent ou par les
formes sans lesquelles il subsiste naturellement en lui-même, et sans
lesquelles il n’a nulle permanence actuelle. » Il appuie cette assertion
par un exemple pris de la cire, comme si l’on fait avec de la cire tantôt une
statue d’homme, tantôt une statue de boeuf, en adaptant ces diverses formes à
la même essence vraiment et entièrement permanente, il importe cependant que ce
ne soit pas dans le même temps; mais voici l’inconvénient qui résulte de cette
supposition, c'est que le même animal serait raisonnable et déraisonnable s’il
y avait dans les diverses espèces la même essence de genre. On voit donc par là
ce qu’il faut dire des universaux et quels sont leurs rapports, comme ils ont
en certains cas et non dans d’autres l’être extrinsèque de l’âme, par
conséquent, je dis que les universaux, par cela qu’ils sont universaux, n’ont
pas l’être par soi dans les choses sensibles, parce que l’universalité
elle-même est dans l’âme et nulle ment dans les choses. Or lorsque nous disons
que la nature universelle a l’être dans ces choses sensibles ou singulières,
nous n’entendons pas que la nature qui a l’universalité tienne l’être de ces
choses caractérisées. On voit donc comment l’universel est corporel, et comment
aussi il est incorporel; parce que, suivant ce que dit Boèce qui est incorporel
et insensible s’entend dans la simplicité de son universalité, tandis que ce
qui est corporel et sensible subsiste par les accidents. Ainsi donc se trouvent
établies les questions énumérées par Boèce sur les universaux. Mais l’universel
peut-il exister après la destruction des singuliers; suivant Avicenne, il faut
dire qu’oui; parce que l’universel est ce que suivant l’intellect il est
impossible de ne pas dire de plusieurs, quoique nulle de ces choses n’ait
l’être en effet. Comme l’intention, qui est universelle, existe en dehors du singulier,
parce qu’il est de sa nature de se dire de plusieurs, mais il n’est pas
nécessaire que ces choses ou quelqu’une d’elles existent. L’universel est-il
substance ou accident, il faut dire que par son rapport de comparaison avec
l’âme, il est accident, c’est une certaine disposition dans l’aine, c’est un
des individus des sciences ou formations. Cependant Averroès dit sur le livre
I° de l’Âme, que l’universel est une qualité existant dans l’âme, »je
dis une qualité substantielle, qui n’est ni substance, ni accident, mais
quelque chose de mitoyen, ce qui n’est pas déraisonnable, quoique ce soit
quelque chose de mitoyen par rapport au logicien, et non par rapport au
métaphysicien et au naturaliste, comme le veut le Commentateur. Ainsi donc en
considérant l’universel en tant qu’universel, c’est-à-dire suivant qu’une
nature quel conque a une intention d’universalité, c’est-à-dire suivant que
l’on considère l’animal ou l’homme comme étant un en plusieurs, les universaux
ne sont pas des substances, et c’est de cette manière que sur la fin du livre
VII de la Métaphysique, Aristote attaque la doctrine que les universaux
ne sont pas des substances, ainsi que les platoniciens ont prétendu que
l’animal et l’homme étaient des substances dans leur quiddité. Car animal
commun et homme commun ne sont pas des substances dans la nature des choses;
mais la forme de l’animal ou de l’homme a cette communauté suivant qu’elle est
dans l’intellect, lequel reçoit une forme commune en plusieurs, en tant qu’il
la retire de tous les agents d’individuation. On peut encore considérer d’une
autre manière l’universel, c’est-à-dire la nature à qui l’intellect a donné un
caractère d’universalité, et de cette sorte les universaux, comme le genre et
l’espèce, signifient les substances des choses, et se disent in quid. En effet
animal signifie la substance de ce dont il se dit, et l’homme également; et
c’est ce que dit Aristote dans les Prédicaments, que le genre et
l’espèce des substances premières sont des substances secondes. Il faut parler
différemment des universaux des accidents, parce que ces universaux, soit pour
le rapport qu’ils ont dans l’âme, soit pour celui qu’ils ont dans leurs
inférieurs, ne sont pas des substances en tant que la substance est séparée de
l’accident, mais ils sont substance, en tant que substance est pris pour
essence dans ses inférieurs. C’est pourquoi comme les accidents universels sont
essentiels à leurs inférieurs, ils peuvent pour cette raison être appelés
substances. Mais l’universel est-il avant le singulier, à cela il faut dire que
l’être universel antérieur arrive de deux manières, sa voir l’universel in
essendo, et l’universel in cognoscendo. Si c’est in essendo,
alors l’universel se prend pour l’espèce qui est dans l’âme abstraite des
conditions matérielles qui sont hic et nunc, la forme et la figure. Il
est donc ainsi évident que le singulier duquel une semblable forme est
abstraite se trouve antérieur, il faut donc comprendre de cette façon ce qui
est de l’âme. L’universel ou n’est rien ou est postérieur. On considère
l‘universel d’une autre manière, en tant qu’il est une forme réellement
existante dans les choses, et cela de deux manières. En effet, ou il se
rapporte à l’opération de la nature ou à l’intention, Si c’est de la première
manière, ou nous parlons de l’universel de l’espèce la plus spéciale, ou du
supérieur qui lui est relatif. Si c’est du supérieur, ou il est comparé à son
propre singulier, qui est médiatement contenu en lui; s’il est comparé au
propre, suivant qu’animal est comparé à tel animal, dans ce cas tel animal est
antérieur à animal dans l’opération de la nature, parce que l’opération de la
nature se termine à tel animal avant animal, par la raison que toute opération
appartient aux singuliers; mais ensuite lorsque nous prenons tel animal,
l’intellect attentif, avant que nous arrivions à la forme de l’homme, saisit la
forme de l’universel dans tel individu, à savoir l’animai. Mais ensuite avant
que la nature opère à l’égard de la forme de l’homme, animal a précédé dans
l’observation de l’intellect, et puis tel animal par l’opération de la nature,
et par conséquent si nous formons alors l’universel supérieur à l’égard du
singulier non propre, comme animal à l’égard de tel homme, de cette façon dans
l’opération de la nature l’universel précède le singulier. On voit ainsi ce
qu’il faut dire si nous parlons de l’universel supérieur. Mais si nous parlons
de l’universel inférieur, comme de l’espèce la plus spéciale, dans ce cas,
relativement à l’opération de la nature, le singulier précède l’universel,
comme la nature engendre Jacques avant l’homme. D’un autre côté, si nous
rapportons l’universel à l’intention de la nature, il faut encore distinguer,
parce que ou nous parlons de l’universel supérieur, comme du genre, ou de
l’inférieur, comme de l’espèce la plus spéciale: si nous parlons de l’universel
supérieur, comme de l’animal relativement à l’intention universelle de la
nature, je dis dans ce cas que l’universel, savoir animal, et tel animal ne
tiennent pas de la nature leur singulier propre, parce que s’il en était ainsi
son opération cesserait d’abord dans l’animal, et n’arriverait jamais à Jacques,
et de cette manière rien n’arriverait à une génération par faite. Si au
contraire nous parlons de l’universel inférieur comme de l’espèce la plus
spéciale, comme c’est là que tend d’abord la nature particulière, il faut dire
que par l’intention de la nature l’universel est antérieur au particulier, et
c’est ce que dit Aristote dans le second livre de l’Âme: Notre vertu se
trouve dans tout, parfait et imparfait, de sorte que l’animal engendre
l’animal, la plante engendre la plante, quoiqu’ils participent à l’être divin
dans la mesure de ce qui leur est possible. » En effet, c’est là le désir et le
but de tout ce qui agit suivant la nature, laquelle a eu en vue par elle-même
l’être divin, c’est-à-dire l’immortalité, comme il l’expose lui-même. Quant à
l’opération de la nature le singulier est antérieur, dans ce sens que la nature
produit Jacques avant de produire l’homme, et on voit de la sorte ce qu’il faut
dire de l’universel relativement à son être. Mais si nous parlons de
l’universel relativement à sa cognition, on peut le considérer de deux
manières, parce qu’il y a quelque chose qui est plus connu par rapport à nous,
et d’autres choses qui sont plus connues simpliciter, ou par rapport à
la nature, parce que la même chose est plus connue suivant la nature et sinipliciter.
Or les choses connues per se sont plus connues simpliciter.
Celles-là le sont plus per se qui ont plus de l’entité, car chaque chose
devient l’objet de la cognition en tant qu’elle est être; or les choses qui
sont plus en acte sont êtres davantage: c’est pourquoi ces choses sont plus
susceptibles d’être connues par la nature, non que la nature les connaisse
davantage, mais parce qu’elles sont connues en elles-mêmes et suivant leur
nature propre. Ainsi donc les natures les plus spéciales sont plus connues
suivant la nature, comme existant par elles-mêmes, et ayant une cognition
distincte. Or ce qui est complet actu est antérieur en nature et postérieur en
temps Les genres au contraire connus sont antérieurs par rapport à nous, et
postérieurs par rapport à la nature, comme ayant une cognition confuse en
puissance: mais ce qui est en puissance est antérieur en temps et postérieur en
nature, comme sont les genres plus universels et en puissance, et plus confus,
parce que les universaux contiennent en eux leurs inférieurs en puissance, et
celui qui sait une chose en général la connaît d’une manière confuse. La
connaissance en devient plus claire, quand chacune des choses contenues en
puissance dans l’universel vient à être à demi connue en acte. Par exemple,
celui qui connaît l’animal ne connaît la rationalité qu’en puissance; car il
arrive que l’on connaît plutôt l’animal que l’homme. Et c’est ainsi qu’il faut
entendre te qui est dit, livre I° de la Physique, qu’une chose existe
plutôt en puissance qu’en acte. En conséquence suivant le mode par lequel nous
procédons de la puissance à l’acte et du plus commun au moins commun, il est
antérieur par rapport à nous de connaître l’animal plutôt que l’homme; c’est
encore ainsi qu’il faut entendre, livre I° de la Physique, que les
universaux nous sont antérieurement connus par rapport à nous et moins connus à
la nature: c’est tout le contraire pour les singuliers, parce que là il n’y a
point d’acception simple, mais bien secundum quid; comme est l’espèce à
l’égard du genre. Mais si l’on prend le singulier simpliciter comme il
est pris, in I Posteriorum, il faudra dire que par rap port à nous les singuliers
sont plus connus suivant que la cognition sensitive précède en nous la
cognition intellective qui appartient aux universaux: mais les universaux sont
plus connus suivant la nature et en eux simpliciter, parce que la
connaissance universelle est plus parfaite. Or les universaux sont
intelligibles en acte, mais non les singuliers, étant matériels comme ils sont.
Remarquez qu’il y a de la différence à (lire animal en tant qu’animal, et
animal en tant qu’universel; et de nième homme en tarit qu’homme, et homme en
tant qu’espèce; parce que l’animal en tant qu’animal n’est qu’animal, et
désigne une essence simple, qui n’est pas une par elle-même pas plus que
multiple, n’existant pas dans ce qui tombe sous les sens, ni dans l’âme, et
n’est rien de tout cela en puissance ou en acte. C’est pour quoi il signifie
une certaine essence qui n’est ni universelle, ni particulière; c’est pour cela
qu’Avicenne dit que rationalité n’est pas une différence, pas plus que
l’animalité un genre ou humanité une espèce, et de cette manière ou ne peut
rien dire de vrai d’elle si ce n’est qu’elle se convient en tant que telle:
d’où il résulte que tout autre attribution qui lui sera faite sera une
attribution fausse, par exemple: animal raisonnable convient à l’homme en tant
qu aussi bien que les autres choses qui tombent dans sa définition; tandis que
blanc ou noir ou autre chose semblable qui n’appartient pas à l’humanité ne
convient pas à l’homme en tant qu’homme. C’est pourquoi si l’on demande si
cette nature ainsi considérée peut se dire une ou multiple, il faudra répondre
négativement pour l’une et l’autre chose, parce que chacune de ces choses se
trouve en dehors de l’intellect de 1 ou de l’humanité, et que l’une et l’autre
peut arriver. Si en effet la pluralité était de son intellect, elle ne pourrait
jamais être dite une, quoique cependant elle sait une en tant qu’elle se trouve
dans Jacques. De même si l’unité était de son intellect, elle serait alors la
seule et même essence de Jacques et de Platon , et ne pourrait se vérifier dans
plusieurs; et comme il ne convient pas à la nature suivant sa considération
absolue d’être dans l’âme ni dans les singuliers, il est faux de dire que la
nature de l’homme comme telle a l’être dans tel singulier, parce que si l’être
dans tel singulier convenait à l’homme comme homme, comme homme il serait hors
de tel singulier. De même, si n’être pas dans tel singulier convenait à l’homme
en tant qu’homme, en tant qu’homme cela s’y trouverait: mais il est vrai de
dire, que l’homme en tant qu’homme n’a pas l’être en tel ou tel singulier ou
dans l’âme. Il est donc évident que la nature de l’homme, con sidérée d’une
manière absolue, abstrait de tout être quelconque, de telle sorte néanmoins
qu’il n’y ait précision d’aucun, et de sorte aussi que, ne convenant pas à
l’humanité dans sa considération absolue, elle se dise de Jacques; c’est
pourquoi le caractère d’espèce ne lui convient pas .suivant la considération
absolue, parce que l’unité et la communauté sont de la nature de
l’universalité. Or ni l’un ni l’autre ne con vient à la nature humaine suivant
sa considération absolue. En effet, si la communauté était de l’intellect de
l’homme, on rencontrerait la communauté partout où se trouverait l’humanité, ce
qui est faux, parce qu’on ne trouve nulle communauté dans Jacques, et tout ce
qu’il y a en lui est individué, il faut donc qu’elle appartienne aux accidents
qui l’accompagnent suivant l’être qu’elle a dans l’intellect, et par conséquent
le nom d’espèce ne se dit pas de Jacques, de sorte qu’on dise, Jacques est une
espèce, ce qui néanmoins arriverait de toute nécessité, si la nature d’espèce
convenait à l’homme suivant l’être qu’il a dans Jacques ou suivant sa
considération absolue, c’est-à-dire en tant qu’il est homme. Car tout ce qui
convient à l’homme en tant qu’homme convient et se dit de Jacques. Elle peut
être considérée d’une autre manière suivant l’être qu’elle a dans tel ou tel,
et ainsi il y a à son égard prédication per
accidens, à raison de ce en quoi il est, comme on dit que l’homme est blanc,
parce que Jacques est blanc, quoique cette qualité ne convienne pas à l’homme
en tant qu’homme. De cette manière elle a un double être, l’un dans les
singuliers et l’autre dans l’âme, et les accidents suivent cette nature selon
l’un et l’autre être, comme dans les singuliers ils ont un être multiple
suivant la diversité des singuliers. Suivant l’être qu’elle a dans les
singuliers on ne peut pas dire que la nature de quelque genre ou espèce
survienne à une nature, car il ne se rencontre pas dans les individus suivant
l’unité quelque chose d’un convenable à tout, que demande la nature
d’universel. Il reste donc à dire que la nature du genre ou d’espèce sur- vient
dans une nature suivant l’être qu’elle a dans l’intellect. Par exemple la
nature humaine a dans l’intellect un être abstrait de tous les agents
d’individuation, c’est pourquoi elle à un caractère d’uniformité vis-à-vis de
tous les individus qui sont hors de l’âme, selon qu’elle est essentiellement
une image universelle faisant connaître tous les individus en tant qu’ils
existent en elle, parce que son opération à l’égard de tout individu passé,
présent et futur est une, et de quelque manière qu’il ait été d’abord placé
dans l’intellect, il subira cette dépuration et ne produira aucune
augmentation. On voit donc par là que ce n’est pas la même chose de dire un
animal en tant qu’animal, ou un homme de la même manière, ou un animal en tant
qu’universel, car animal comme tout autre universel est seulement animal, c’est
une forme intelligible suivant la forme que nous exprimons, c’est une nature
dont on peut dire que son être est antérieur à l’être naturel, comme le simple
est antérieur au composé, et son être individuel n’est proprement dit être
qu’autant que cet être d’où pro vient l’animal, appartient à l’intention. Mais
l’être avec les accidents, et l’être de tel individu, malgré la détermination
de l’intention, est attribué à une nature particulière. Donc l’animal, en tant
qu’animal, n’est ni genre, ni espèce, ni individu, ni unité, ni multiplicité en
tant que de soi, quoiqu’il accompagne nécessairement un être déterminé en eux.
Néanmoins animal et homme peuvent être considérés en eux- mêmes, quoiqu’étant
avec un autre différent d’eux-mêmes; mais animal en tant qu’universel, n’est
pas seulement animal, mais il est animal, et une autre chose encore non animal:
considéré en soi il est quelque chose de moyen entre animal et non animal; il
sera alors animal en cela comme sa partie, et de même de l’homme. Donc
l’universel comme universel est quelque chose en quoi survient la pluralité, et
de plus quelque autre chose. Il est dès lors évident, d’après ce qui a été dit,
de quelle manière le caractère de genre et d’espèce con vient à une nature,
c’est-à-dire qu’il ne lui convient pas suivant une considération absolue, et ne
provient pas des accidents qui l’accompagnent suivant l’être qu’elle a hors de
l’âme, comme la blancheur ou la noirceur, mais il appartient aux accidents qui
l’accompagnent suivant l’être qu’elle a dans l’intellect, et de cette manière
le caractère de genre, d’espèce, de différence et des autres intentions lui con
vient parfaitement.
Fin du cinquante-quatrième
Opuscule, sur les universaux.